La légende de sainte-Eusébie, vierge et martyr
Le Dictionnaire hagiographique (ou Vie des saints et des bienheureux honorés en tous temps et en tous lieux depuis la naissance du Christianisme jusqu'à nos jours) de Jacques-Paul Migne prétend qu’Eusébie, vierge et martyre de Marseille, était abbesse du monastère de Saint-Cyr, fondé vers 413 par le célèbre saint Jean Cassien, près de cette ville. Les Sarrasins ayant pénétré dans le sud de la France dans le Roussillon, le Languedoc et la Provence, sous la conduite d’Abdérame et voyant que les barbares approchaient, Eusébie réussit à convaincre les moniales au nombre de quarante, de se défigurer le visage afin de conserver leur chasteté par un expédient héroïque dont elle fut la première à donner l’exemple. Elle se coupa elle-même le nez et les lèvres et toutes firent la même chose ! Les Sarrasins arrivèrent au monastère, enfoncèrent les portes et, saisis d’horreur à la vue d’un spectacle aussi hideux, ils massacrèrent les saintes épouses de Jésus-Christ, qui obtinrent ainsi la double couronne de la chasteté et du martyre, cela se passait en 731 de notre ère. Cette sainte Eusébie, qui eut le courage de se couper ainsi le nez, et qui décida les autres religieuses à en faire autant, n’a pas eu, semble-t-il, une grande réputation dans le monde chrétien car on ne la trouve pas, même indiquée, dans le Martyrologue de Simon Martin, ce qui laisse à penser que jusqu’au XVIIème siècle, cette légende était purement locale.
Il faut signaler par ailleurs, que le monastère de Sainte-Eusébie était, d’après le dictionnaire de Migne, à Saint-Cyr, et qu’à une douzaine de kilomètres de là, à peine, il y a la petite ville de Sanary, longtemps appelée Saint-Nazaire, et placée sous le patronage d’un saint qui a le nez coupé. Dans le dictionnaire de Migne, il n’est pas question de cette amputation dans le martyre des divers saints Nazaires que l’Église honore. Nous pouvons être alors portés à penser que la donnée de cette mutilation a frappé les habitants de la contrée, plus ou moins longtemps avant l’ère chrétienne ; et que, lors de l’établissement du Christianisme, elle en a subi l’influence d’une manière différente, suivant les localités. Quand il s'agissait d’un saint masculin, on lui a fait perdre le nez comme persécution de sa foi. Quand il s'agissait d’une sainte, on lui a fait avoir le courage de s’amputer elle-même, pour conserver sa chasteté.
Source : D’après "Superstitions et survivances" Laurent Jean Baptiste Béranger-Féraud - 1896