Les confiseurs de Grasse et leurs fleurs sucrées
En 73 après J-C, Pline l'Ancien dans son Histoire Naturelle évoque les recettes de conservations de son époque : cuissons des fruits dans du miel, du sirop ou du vin de raisin. Au IVème siècle, Rutilius Palladius, agronome, dans son traité sur l'agriculture De Re Rustica évoque lui aussi des recettes de fruits cuits. Vers l'an mil, par l'intermédiaire des Croisés, le sucre de canne est introduit en Europe, les confitures y connaissent alors un nouvel essor. Au Moyen Age, l'appellation "confitures" désigne toutes les confiseries réalisées à partir d'aliments cuits dans du sucre, du sirop ou du miel : bonbons, fruits confits, etc. La confiture actuelle était appelée electuaire, du latin eleucterium. Originaire de la pharmacopée mésopotamienne, elle était alors utilisée comme traitement thérapeutique. A la fin du XIIIème siècle, le mot "confiture" est cité dans un recueil de chansons pieuses dans lequel on parle de "siros confis de douce confiture". Puis en 1393, le "Ménagier de Paris" mentionne des confitures de coings, mais aussi de pêches, de poires et même de navets, de carottes, de courges, de racines de persil et de fenouil. Différentes recettes trouvent rapidement leur place aussi dans le boutehors, le dernier service des banquets médiévaux. En 1342, le pape Clément VI nomme Auzias Maseta écuyer en confiserie et contribue à faire d'Apt, la capitale du fruit confit. Au XVIème siècle, apparaissent des "livres de confitures" qui sont des mélanges de recettes et de remèdes : ainsi en 1545, la "Méthode pour faire toutes confitures". Michel de Nostredame dit Nostradamus, astrologue, médecin, apothicaire a l'idée de conserver dans du sucre les fruits qui poussent en abondance dans le Vaucluse et dont de grandes quantités se perdent chaque année. En 1555, paraît son "Excellent & moult utile opuscule à touts necessaire, qui desirent auoir cognoissance de plusieurs exquises receptes ... " qui connaît un véritable succès dès sa parution. Ce livre qui comporte trente et un chapitres fera l’objet de neuf rééditions successives. Il aborde les ingrédients (sucre, miel, defrutum et fruits). Il détaille le matériel nécessaire. Il ne se contente pas de donner des recettes, il nous livre aussi un certain nombre de considérations d’ordre économique ou esthétique. Parmi ses recettes, citons : la confiture de rose, le cotignac et les confits d’agrumes, mais aussi le sirop rosat plus goûté alors pour ses qualités laxatives que pour l'arôme des quelques mille cinq cents roses qui servent à sa préparation. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, la confiture agrémente surtout la table des nobles et les variétés sont de plus en plus nombreuses : les découvertes de contrées lointaines et l'installation de comptoirs dans de nombreuses régions du monde permettent l'introduction de fruits exotiques en Europe.
En 1600, Olivier de Serres, Seigneur du Pradel, pionnier de l’agronomie publie son "Théâtre d'agriculture et mesnage des champs" dans lequel il consacre plusieurs chapitres aux confitures. En 1651, Nicolas de Bonnefons, valet de chambre de Louis XIV publie "Le jardinier François" qui sera suivi en 1662 par "Les délices de la campagne" où l’on trouve de nombreuses pages consacrées aux confitures. "Le confiturier royal", écrit en 1776 par François Massaliot, cuisinier royal de Louis XIV donne des recettes de confitures, mais aussi de vins parfumés, d'eaux odoriférantes et de savonnettes. Contrairement au Vaucluse, la confiserie à Grasse est étroitement liée à la parfumerie qui connaît un essor au XVIIème siècle. Dans la région grassoise, des activités telles que la distillation des huiles, la fabrication d'arômes, de sirops et la confiserie se développent. Grasse et ses environs sont moins riches en arbres fruitiers que le Vaucluse mais la région possède un atour majeur : ses fleurs. Roses, violettes, oeillets, jasmin sont les matières premières de la confiserie.
Désormais, les recettes de Nostadamus et François Massaliot sont adaptées aux fleurs, comme par exemple la "pâte de violettes". En 1789, on dénombre à Grasse 51 parfumeurs pour 7 confiseurs. Au XVIIIème siècle, la confiserie est perçue comme une friandise, mais également comme un médicament. C'est surtout un luxe que peu de personnes peuvent s'offrir. Joseph Nègre, un confiseur de Grasse ouvre une usine en 1818 et crée la "confiture de ménage". Faite à base de fruits naturels dont des agrumes, elle a pour objectif de démocratiser ce produit en le mettant à la portée de toutes les ménagères. La confiserie s'invite dans les cours européennes et devient un dessert naturel et raffiné.
C'est l'époque où les salons de thé de Cannes proposent aux élégantes des fleurs cristallisés ou poudrées fabriquées en 1850 par Joseph Nègre à base de roses rouges ou jaunes, d'oeillets mouchetés, de violettes de Parme, de lilas roses ou mauves, de fleurs de lavande, etc... Cette activité emploie de nombreuses personnes : cueilleuses de fleurs, ramasseurs de fruits, confiseurs, etc... Cependant, après la Première Guerre mondiale le commerce de la confiserie décline. La confiserie industrielle commence à poindre. Eugène Fuchs, qui fonde en 1926 les parfums Fragonard, rachète la confiserie Nègre en 1949 et la transfère au Pont-du-Loup à Tourrettes-sur-Loup. Son fils Patrick, acquiert la chocolaterie Florian, sur le port de Nice. Quatre-vingts ans après, l'arrière-petit-fils d'Eugène Fuchs, Frédéric est toujours à la tête de Florian avec l'aspiration à faire du bon et du beau dans le respect des règles artisanales.
Explications : L'électuaire est une forme galénique pâteuse administrée par voie orale. Cette forme est aujourd'hui obsolète. L'électuaire était généralement constitué de poudres ou de pulpe végétale mélangées à du sirop ou, plus souvent, à du miel.
Le boutehors est un terme des pratiques de la table au Moyen Age. Il désigne le tout dernier élément d'un repas, volontiers servi dans une autre pièce. Il était précédé des services de la première assiette, de la deuxième assiette, des entremets, de la dorure, du dessert et de l'issue de table.
Le defrutum était un condiment à base de moût de raisin réduit utilisé par les cuisiniers de la Rome antique. C'était avec le garum l'une des sauces les plus utilisées pour la préparation de tout type de plat.
Le cotignac est une gelée épaissie faite avec des coings pelés et du sucre, cuits ensemble. Après filtrage, la gelée obtenue constitue le cotignac qui se différencie de la gelée ou de la pâte de coing par son caractère ferme et son goût plus sucré tempérant l'acidité et l'arôme naturel du coing. Il existe plusieurs recettes différentes, qui chacune donne au produit final un goût et une consistance différents. Du vin doux peut être ajouté à la recette.
Le saviez-vous ? : Selon la légende, la recette de la "confiture" de lait naquît à cette époque de la distraction d'un chef cuisinier de l'armée Napoléonienne. Les soldats avaient alors pour ration un bol de lait sucré. Lors d'une bataille, le mélange incidemment chauffé trop longtemps se serait transformé en une pâte onctueuse délicieusement caramélisée.
Sources : D'après un article paru dans le supplément du Journal Var matin du 21 avril 2013 - Wikipédia, l'encyclopédie libre - le site : confitures-tetra.blogspot.fr
Photo de la confiserie Nègre
Un moule pour les sucettes et les bonbons