Les charbonniers des Maures
La forêt vulnérable, menacée par les incendies, arbres attaqués par le bostryche (coléoptère) qui les rend malades, les pinèdes sont bien réduites, le chêne-liège s'en tire mieux, moins inflammable, mieux protégé par son écorce et la dureté de ses feuilles, il reverdit et souvent s'en remet. Du temps de l'exploitation des bois, les arbres destinés à être coupés étaient marqués de deux coups de hache retirant une partie d'écorce. Les gardes forestiers contrôlaient l'abattage. Les "bouscatiers" coupaient les arbres marqués. On entendait le bruit des "destraou" (haches), les han ! sourds des bûcherons, les fracas du pin s'écroulant. Le géant abattu était écorcé à longs coups horizontaux de la hache bien affûtée. Ce bois servait pour faire des poteaux, des bois de mines ou de charpente. La lune a une importance, il faut choisir la date pour les coupes de bois, pour qu'il ne se mite pas et se travaille mieux. "En Provenço lis boucatié coupon lis aubre à fucio persistanto à la luno nouvello é aquéli à fucio caduco à la luno qué trébuco per qué lou bos non s'artisouno". "En Provence, les bûcherons coupent les arbres à feuilles persistantes en lune nouvelle et ceux à feuilles caduques en lune vieille (qui tébuche) pour qu'il ne soit pas vermoulu". Dans la forêt, en ces temps d'exploitation assez intense, les "loubes" (scies) chantaient, les hommes s'échinaient mais vivaient dans une atmosphère pure. Quand l'écorçage était terminé, les troncs étaient placés dans une clairière les uns sur les autres en attendant d'être transportés par charrettes aux scieries, caisseries ou négociants en bois. Les troncs (grumes) enlevés, les branches étaient utilisées pour faire le charbon de bois.
Dans les collines, sur les lieux du chantier, parfois à des heures de marche par les pistes forestières, les charbonniers venus d'Italie vivaient avec leur famille souvent nombreuse dans des cabanons, ou l'été sous des bâches tendues entre les arbres. Une vie au grand air, mais un métier rude et... noircissant ; leurs yeux semblaient jaillir de l'orbite tant le blanc contractait avec le noir de leur peau. Ils étaient assidus à la messe du dimanche, venant à pied du fond des bois avec tous leurs enfants... Ils recueillaient l'eau de sources secrètes ou de ruisseaux, cuisinaient sur le feu allumé entre deux pierres dans la clairière. Le pain rassis, les haricots, le petit salé remplaçant la viande dans les préparations, les grosses soupes d'épautre, la polenta, l'ail, l'oignon, les anchois et le fromage, c'était à peu près toute leur nourriture, quelquefois ils ajoutaient un gibier attrapé aux lacets.
Leur travail consistait à couper les bûches, à les empiler verticalement sur deux ou trois rangs, autour d'un vide central servant de cheminée, la meule ainsi formée en hémisphère, recouverte de mousse, de feuilles puis de terre battue qu'il fallait arroser quand soufflait le mistral pour qu'elle ne sèche pas. La cheminée alors remplie de bois enflammé, la combustion se propageait rapidement. Tout d'abord, la fumée qui sortait "la suée" c'était l'humidité qui se dégageait, puis la fumée peu à peu prenait une teinte bleuâtre et devenait de plus en plus transparente : la carbonisation était terminée dans le voisinage de la cheminée que l'on bouchait alors et on pratiquait des ouvertures (évents) à 30 cm plus bas. Dès que la fumée s'éclaircissait, on les bouchait à leur tour et ainsi de suite jusqu'au pied de la meule. Cette combustion durait plusieurs jours. Après l'avoir laissée trois jours à refroidir, puis démolie, on triait le charbon plus ou moins bien calciné. Les goudrons de la combustion des bois résineux étaient récupérés par un conduit menant à une citerne, la meule était édifiée sur une aire conique au centre de laquelle s'abouchait le conduit de drainage.
Le charbon mis en sacs était charroyé dans les villes voisines et même jusqu'à Marseille, il fallait deux jours pour y arriver, la charrette était tirée par la "coublo" (deux chevaux). Les bûcherons réservaient les branches de pin les plus petites pour confectionner des fagots que les boulangers achetaient pour chauffer leurs fours, c'étaient les "faicines". Coupant les grandes bruyères, ils en fabriquaient des milliers de balais pour la Marine Nationale et pour le balayage des rues. Ils fabriquaient aussi des paillassons pour abriter soit du vent, ou du soleil, soit pour servir de clôture. Les racines de bruyère étaient réservées pour les fabriques de pipes de Cogolin et de Saint-Claude. Résiniers, bouscatiers, charbonniers, chasseurs, chercheurs de champignons ou ramasseurs de pommes de pin, cela faisait beaucoup de monde dans la forêt du Dom. Cette forêt merveilleuse autrefois, très profonde, infestée de loups, - le col de Gratteloup en rappelle le souvenir - on y faisait des rencontres dangereuses avec des brigands ou des bagnards du bagne de Toulon en rupture de ban. Elle appartenait aux moines de l'abbaye de la Verne. Le seigneur de la Môle y fit dresser des fourches patibulaires (potences) pour effrayer les chartreux avec lesquels il était en conflit. Dans les périmètres les plus faciles à atteindre (desservis par les chemins) les bois ont été surexploités depuis les Romains pour des édifices.
Pour la contruction de bateaux de la flotte romaine, le beau chêne dur était la grand sacrifié, puis pour la constructions de maisons jusqu'au XIe siècle où la pierre se substitua au bois, les Mérovingiens utilisaient le bois pour leurs châteaux, murs, charpentes, planchers, portes et fenêtres. Plus le bois de chauffage et les besoins en bois de l'arsenal de Toulon, tout contribuait à dépeupler la forêt. Les Maures aujourd'hui sont plus calmes. Seulement les dimanches d'automne les chercheurs de champignons abandonnent leurs véhicules à l'orée du bois, les chemins étant interdits à la circulation automobile. Quand les forêts étaient nettoyées, les arbres morts étaient enlevés et les incendies moins nombreux. Il a été créé en janvier 1969 un centre de recherche agronomique dans la forêt même, à proximité du clos Mistinguett. On y étudie les nombreux problème posés par la forêt - incendies, parasites - (le pin maritime est très touché par le matsu-coccus). Des espèces, résistant à ces diverses agressions sont testées (eucalyptus, sapins méditerranéens).
Source : Les Maures - Terre de Provence - Georgette Brun-Boglio - Les Presses du Midi.