Les rites de fondation
Lecture des aruspices
Avant de fonder une ville, d'établir un pont ou de poser les fondations d'une villa, les Romains interrogeaient les aruspices* ; de leur réponse dépendait tout. La Provence garde quelques traces de cet antique usage, recourant à une bénédiction de l'Eglise et à l'obole de quelques pièces au millésime de l'année, d'or ou d'argent, selon le degré de fortune, déposées sous la première pierre. Ainsi, en édifiant une chapelle contre la noble façade de son château d'Ansouis, le duc de Sabran-Pontevès n'avait pas voulu manquer à la tradition. Pour la petite histoire, un jeune enfant de choeur, trouvant dommage de perdre ainsi l'or, le remplaça par du cuivre pendant le déjeuner, alors que le mortier était encore frais ; la légende se vérifia en démolissant la chapelle un siècle plus tard ! Dans bien des cas, le maître des lieux se contentait de quelques libations ou d'un document relatant la cérémonie, renfermé dans une bouteille. Le livre de raison de Courtois de Durefort, maire de Sault (Vaucluse) rapporte la cérémonie célébrée dans le domaine familial en 1812 : "J'ai fait construire à neuf une grande partie du bâtiment et, entre autres, toute l'aile du devant. Vous vous rappelez, mes enfants, comment fut posée la première pierre de l'angle. Nous mîmes en dessous une bouteille renfermant le procès-verbal de cette cérémonie. J'ai en vue, par elle, d'attacher tous mes successeurs au toit paternel...".
Peiro veirenco avec message
D'autres rites prophylactiques** interviennent dans la construction. L'achèvement du toit, symbole de protection de la famille, se marque toujours par des libations et un bouquet de laurier, de fleurs des champs ou de sapinette, que l'on soit en Basse-Provence, en Ubaye ou dans le Comtat Venaissin, prélude d'un repas festif. Mille choses viendront par la suite protéger la maison, comme la peiro veirenco, un galet vitrifié noyé dans la maçonnerie, la croix d'une cabane de gardian, la titée*** phallique d'un cabanon pointu... Sur les bâtiments agricoles, tout un arsenal vise à la sauvegarde du bétail, de la pierre de la picoto, ramassée dans le lit de la Durance, à l'éclatant chardon des Alpes, dispensant des vertus magiques. L'essentiel étant de se prémunir des effroyables sorcières, les masco, dont le nom ne se prononçait qu'avec terreur, et, au long des chemins, les oratoires, piloun selon l'expression provençale, en conjuraient le sort.
Source : La maison de Provence - Gilles Mihière-Patrice Binet - Edisud.
* Aruspices : Un haruspice, ou aruspice, est un pratiquant de l'haruspicine, l'art divinatoire de lire dans les entrailles d'un animal sacrifié pour en tirer des présages quant à l'avenir ou à une décision à prendre.
** Prophylactique : (du grec prophulaktikos, de prophulassein, se prémunir de).
*** Titée : La déesse mère de Zeus (Jupiter) est désignée par le nom de Rhéa (épouse de Saturne), la mère des dieux, la Grande Mère. Rhéa est la fille de Titée et du Ciel, la sœur des Titans, l'épouse de Saturne.