Naïs de Marcel Pagnol
Toine, un valet de ferme, est bossu, et cette infirmité lui pèse, car il aime en secret la belle Naïs, fille unique de son employeur, le père Micoulin, un vieil ours qui ne plaisante pas avec la bagatelle. Quand Naïs rencontre Frédéric Rostaing, le fils des riches bourgeois d'Aix, dont le père Micoulin est le métayer, elle est aussitôt séduite par le beau garçon et beau parleur. Mais cela provoque l'ire du patriarche qui les a surpris. Il décide de supprimer Frédéric pour mettre fin au déshonneur.
Heureusement, Toine veille sur eux. C'est grâce à son entremise désintéressée que sera trouvée une issue heureuse au conflit, avec l'aide discrète de la providence. La méchanceté du père Micoulin se retourne contre lui et les parents de Frédéric, après avoir nié l'évidence, sont convaincus par Toine. Naïs part vivre à Aix avec la famille de Frédéric.
Adaptant un récit peu connu d'Emile Zola : Naïs Micoulin, Marcel Pagnol rejoint ici l'inspiration de ses oeuvres d'avant-guerre, notamment ANGÈLE (1934) et LA FILLE DU PUISATIER (1940), dont NAÏS constitue une sorte de synthèse. On y retrouve en effet des situations et des personnages similaires : fille séduite et répudiée par son père, serviteur au physique disgracieux et au grand cœur, couple de bourgeois hypocrites, etc... Surtout, l'opposition entre la ville porteuse de tous les vices et la campagne régénératrice, thème cher à Pagnol, est parfaitement soulignée. NAÏS, comme JOFROI, peut être regardé comme un plaidoyer écologique, avant la lettre.
Jacqueline Bouvier porte ici son nom de jeune fille pour la dernière fois. Elle deviendra Mme Jacqueline Pagnol le 6 octobre 1945, peu après la fin du tournage.
L'une des scènes les plus touchantes du film est celle où Fernandel récite la chanson des petits bossus, la voix étranglée de sanglots. Pagnol, après plusieurs essais, décida de conserver ce trébuchent naturel de l'interprète, qui concourt puissamment à l'émotion.
Toine à Mme Rostaing :
"Je vais vous dire Madame Rostaing, quand j'étais petit mes parents m'adoraient. Et surtout ma grand mère, j'étais déjà comme je suis naturellement. Et moi, je savais pas, enfin je veux dire je savais pas la différence qu'il y avait avec les autres. La bosse c'est traître, ça vous vient par derrière on la voit pas. Chez les paysans y'a pas d'armoire à glace et on se voit dans les yeux de sa mère, et naturellement on s'y voit beau. Un jour un voisin qui était très gentil m'a dit : "Oh le joli petit bossu !" Alors j'ai demandé à ma grand-mère : "Qu'est-ce que c'est un bossu ?" Alors elle m'a dit: "C'est vrai que tu es un joli petit bossu parce que tu as un peu le dos rond et c'est parce que tu n'es pas comme les autres qu'on t'aime beaucoup." Alors elle m'a chanté une vieille chanson, je me rappelle pas la musique mais les paroles ça disait comme ça : "Un rêve m'a dit une chose étrange, un secret de Dieu qu'on a jamais su. Les petits bossus sont de petits anges, qui cachent leurs ailes sous leur pardessus. Voilà le secret des petits bossus." C'est joli mais c'est pas vrai. Moi, j'y ai cru jusqu'à dix ans, je croyais que les ailes me poussaient. Alors souvent, ma grand-mère, elle me chantait la chanson qui était beaucoup plus longue que ça. Seulement les grands-mères, Madame Rostaing, c'est comme le mimosa, c'est doux et c'est frais et c'est fragile. Un matin elle n'était plus là. Un bossu et une grand-mère tout va bien on peut chanter. Mais un petit bossu qui a perdu sa grand-mère, c'est un bossu tout court." |
Réalisé par Marcel Pagnol et Raymond Leboursier
Avec Fernandel, Jacqueline Pagnol, Raymond Pellegrin, Henri Poupon, Charles Blavette
Musique : Vincent Scotto & Henri Tomasi
Photographie : Charles Suin & Walter Wottitz
Montage : Jeanne Rongier
Une production Société Nouvelle des Films Marcel Pagnol
France - 120 mn - 1945