Roger Bricoux de Monaco, musicien sur le Titanic
Portrait de Roger Bricoux
Roger Bricoux avait 20 ans lorsqu'il s'embarqua sur le Titanic en tant que violoncelliste dans l'orchestre qui animait jour et nuit la vie mondaine à bord. Mais ce dernier ne revint jamais de cette croisière tragique dont il fut l'un des héros.
Roger Bricoux, jeune violoncelliste était heureux car il venait de décrocher un contrat de rêve sur le plus grand paquebot du monde : le Titanic. Il écrivit à son père qui était musicien à l'orchestre de Monte-Carlo : "Mon père, ma vie va changer, car je viens d'être engagé comme musicien sur le plus grand paquebot du monde, le Titanic. Je vais participer à sa première croisière, le 10 avril 1912". Tout le monde avait entendu parler du Titanic. Une publicité énorme avait été faite pour son voyage inaugural de Southampton à New-York. Les agences de la compagnie de la White Star Line vendaient les billets. Il y avait justement une agence à Monaco.
Affiche publicitaire de la White Star Line pour le Titanic
Le père de Roger, Léon Bricoux, faisait partie de l'orchestre symphonique de Monaco depuis 1883 et il jouait du cor. La construction du Casino et de l'Opéra de Monte-Carlo en 1879 avait nécessité d'augmenter l'effectif de l'orchestre, lequel avait été fondé en 1856 avec une quinzaine de musiciens. Le chef d'orchestre en était Roméo Accursi, neveu du célèbre compositeur Gaetano Donizetti. Léon Bricoux s'était marié avec Marie-Rose. Leurs deux premiers enfants, Marius et Marcel, étaient morts en bas-âge. C'est pour cela qu'en 1891, lorsque Marie-Rose appris qu'elle était enceinte d'un troisième enfant, elle décida d'aller accoucher dans la maison de ses parents à Cosne-sur-Loire en Bourgogne. Voilà pourquoi Roger n'est pas né à Monaco. Il n'y passa pas moins son enfance et son adolescence. Ses parents étaient des gens très catholiques et ils envoyèrent Roger au collège Saint-Charles situé dans la Principauté et ensuite au collège de la Visitation. Il commença ses études musicales avec son père et les musiciens de l'orchestre de Monte-Carlo, puis les poursuivit à l'Académie musicale de Bologne en Italie. Il les acheva au conservatoire de Paris, puis revint à Monaco. Comme font tous les jeunes musiciens, il effectua des remplacements dans les orchestres de la région : à l'orchestre de Monaco avec son père mais aussi dans les grands hôtels de Nice et de la Côte qui employaient beaucoup de musiciens pendant la saison d'hiver. Les saisons d'été se passaient ailleurs. Roger se produisait ainsi à l'Hôtel Central de Leeds en Angleterre en 1910 mais encore au Grand Hôtel du Lion d'Or à Lille en 1911. Et c'est pourquoi, au début de l'année 1912, Roger s'est engagé sur le Titanic. Il rejoint donc les six autres musiciens : Théodore Brailey, pianiste ; John Hume, violoniste ; Percy Taylor, pianiste ; Frederick Clarke, contrebassiste, John Woodward, violoncelliste ; Georges Krins, violoniste. Ils sont tous Britanniques sauf le dernier qui est Belge et Roger Bricoux. Le chef d'orchestre est Wallace Hartley, il est Anglais. Roger est le plus jeune du groupe. Le contrat a été signé avec la Black Talent Agency, qui a le monopole des orchestres de paquebots.
Les héroïques musiciens du Titanic
Le jour du départ est enfin arrivé et le 10 avril 1912, dans le port de Southampton, alors que les passagers embarquent à bord du Titanic, l'orchestre joue sur le pont supérieur. Il entonne l'hymne de la compagnie, la White Star March. Près de mille passagers s'engouffrent dans la coque du magnifique navire réputé insubmersible. Ils découvrent avec émerveillement le décor luxueux qui s'offre à leurs yeux. Les gens les plus riches de l'époque s'y sont donné rendez-vous, de même que des centaines d'émigrants d'Angleterre, d'Irlande et d'Europe désireux d'aller commencer une nouvelle vie aux Etats-Unis. C'est le moment du départ. A 12 heures 15, le paquebot qui a mis en marche ses moteurs colossaux s'écarte du quai. Premier incident : les remous causés par les hélices font rompre les cordages du City of New York, qui est amarré à côté du Titanic et qui commence à dériver. Les deux navires manquent de se percuter. Le commandant, Edward Smith, ordonne de procéder à une marche arrière d'urgence, ce qui a pour effet de repousser le City of New York. La collision a été évitée de justesse. Le Titanic quittera Southampton avec une heure de retard.
Le Titanic et le City of New York (Photo Wikipédia)
La vie à bord se met en place. L'orchestre joue en plusieurs lieux : le Café parisien, la salle de réception de première classe à l'heure du thé, la grande salle pour le dîner. Il se produit également au sommet du grand escalier en fin de matinée et trois fois par jour dans l'escalier principal de deuxième classe. Les musiciens jouent en effectif complet de huit musiciens ou en trio ou encore en quintette. Le dimanche matin 14 avril, jour du drame, l'orchestre accompagnera également l'office religieux en présence du commandant. Les passagers s'assayent même sur les marches pour écouter l'orchestre. D'ailleurs, une des rescapées du naufrage, Helen Churchill Candee dira : "L'orchestre était populaire et tout le monde refusait de le quitter. Tout le monde demandait qu'il joue son air préféré". Vers 23 h 40, alors que le Titanic a déjà parcouru 1451 miles (2687 kilomètres) et que le commandant a maintenu sa route malgré la présence de blocs de glace, signalée par radio par quatre bateaux successifs, dont le Baltic et le Californian, les veilleurs, Frederik Fleet et Reginald Lee, installés dans le nid-de-pie du mât avant, aperçoivent un iceberg droit devant dans le brouillard et le signalent à la passerelle. Le 1er officier, William Murdoch, alors officier de quart, essaie de faire virer le navire vers bâbord, il fait stopper les machines et demande une marche arrière toute. Quelques trente sept secondes plus tard, le navire vire de bord, mais heurte l'iceberg par tribord et le choc fait déchirer des tôles et sauter des rivets ouvrant ainsi une voie d'eau dans la coque sous la ligne de flottaison. Tout le monde entend un grand facas mais s'en savoir ce qui arrive. Les portes étanches sont alors immédiatement fermées par Murdoch afin d'éviter une voie d'eau plus importante. Mais l'eau commence à envahir les cinq premiers compartiments du bateau. Or, le Titanic ne peut flotter qu'avec au maximum quatre de ses compartiments remplis d'eau. A 23 h 50, l'avant du paquebot s'est déjà enfoncé de quatre mètres. A 00 h 05, le commandant fait enlever les tauds (abris de grosse toile) des embarcations et rappeler l'équipage. A 00 h 15, le premier appel de détresse est envoyé en signal CQD (alphabet morse) par TSF sur la longueur d'onde des 600 mètres. A 00 h 25, l'ordre est donné de faire monter les femmes et les enfants en premier dans les canots de sauvetage. A 00 h 45, le premier canot est affalé avec 28 passagers contre 65 possibles et le signal CQD est transformé en SOS. Les officiers s'occupent de faire monter les femmes et les enfants en priorité dans les canots et les première et deuxième classes, étant plus près des canots, y ont plus facilement accès. Mais la capacité des canots n'est que de 1 178 personnes au total et il y a environ 2 200 personnes à bord à secourir ! Les canots quittent le Titanic à intervalle régulier, et sont pour la plupart à moitié vides. A bâbord, le second officier Charles Lightoller et le capitaine Edward Smith ne font monter que des femmes et des enfants, alors qu'à tribord le premier officier William Murdoch complète souvent les places vides avec des hommes. Seuls deux des vingt canots partiront à pleine charge ! A 2 h 05, le canot pliable D est le dernier mis à la mer avec succès contenant 24 personnes à son bord contre 47 possibles. A intervalles réguliers, jusqu'à 1 h 40, des fusées de détresse sont envoyées. Il en est de même pour les SOS qui sont envoyés jusqu'à 2 h 17, heure à laquelle l'eau atteint la cabine radio. Les deux canots restants après 2 h 05, les canots pliables A et B, situés sur le toit du quartier, sont descendus sur le pont des embarcations mais les officiers ne disposant pas de suffisamment de temps, ils partent à la dérive quand l'eau envahit l'avant du pont et des nageurs s'y installent. Environ quarante personnes se trouvant sur ces dernières chaloupes seront récupérés par d'autres canots.
Salon des passagers de 1ère classe
Revenons en arrière pour parler de l'orchestre : à partir du moment où les passagers ont commencé à évacuer le navire, l'orchestre s'est réuni dans le salon des passagers de première classe. Les huit musiciens ont réçu l'ordre de jouer pour éviter la panique. Un peu plus tard, alors que dans un grand désordre, les passagers se dirigent vers le pont supérieur, l'orchestre se déplace vers le grand escalier. Les passagers sont à présent sur le pont transis de peur et de froid. L'orchestre les rejoint. Il se tient à tribord, près de la deuxième cheminée. L'un des officiers rescapés, Charles Lichtoller, commentera dans ses Mémoires : "La présence de l'orchestre nous a beaucoup aidés à maintenir le calme pendant le chargement des canots." A 2 h 00, sur le pont de plus en plus incliné, au milieu des cris des passagers, les musiciens jouent toujours, arrivant de plus en plus mal à tenir leur équilibre. Ils sont vaillants à la tâche car ils se sentent investis d'une mission supérieure, persuadés qu'ils doivent assumer leur rôle jusqu'à dernier moment. Vers 2 h 15, sentant que la fin est proche, ils attaquent "Plus près de toi, mon Dieu". Puis, l'orchestre se tait juste avant la chute de la cheminée. A 2 h 17, le paquebot s'enfonce. Une vague énorme balaye le pont, les gens, les musiciens. Ils sont engloutis avec les derniers passagers et les membres de l'équipage. La grande verrière se brise en entraînant la destruction du grand escalier et donnant accès à l'eau à toutes les pièces de l'avant. A 2 h 18, les lumières du Titanic clignotent une dernière fois puis s'éteignent. Un instant plus tard, le paquebot se brise en deux. Alors que la partie avant coule, la partie arrière flotte pendant quelques instants et se remplit d'eau lentement jusqu'à ce qu'elle sombre à 2 h 20. Le plus grand paquebot du monde, que l'on disait insubmersible a sombré à jamais dans l'océan Atlantique. La température de l'eau est alors de −2 °C. Aux alentours de 3 h, le canot n°14 commandé par le cinquième officier Harold Lowe, arrive sur les lieux du naufrage après avoir vidé ses passagers dans d'autres canots. Arrivant trop tard, il ne tire de l'eau que quatre hommes, dont l'un meurt à bord du canot. Plus tard, à 3 h 30, les passagers des canots aperçoivent les feux du Carpathia. A 5 h 30, le Californian prévenu par le Frankfurt arrive sur les lieux du désastre. Le dernier canot est récupéré à 8 h 30, le deuxième officier Charles Lightoller est le dernier à monter à bord. Le Carpathia met ensuite le cap sur New York à 10 h 50.
Navire Le Carpathia
On dénombrera mille cinq cents morts et sept cents rescapés. Très rapidement, la presse va se passionner pour l'histoire des musiciens du Titanic et leur attitude héroïque. Ils ont joué jusqu'au dernier instant. Les unes des journaux leur seront consacrées de part et d'autre de l'Atlantique. Les partitions de "Plus près de toi mon Dieu" seront vendues par dizaines de milliers d'exemplaires en leur hommage. Des concerts sont donnés pour venir en aide aux familles des musiciens : le 9 mai 1912 à Brooklyn à New York, le 24 mai au Royal Albert Hall de Londres. Des cérémonies ont lieu partout dans le monde. Le 2 mai, l'une d'elles va se tenir en l'église Sainte-Dévote à Monaco en hommage à Roger Bricoux. Le magazine Monaco-Revue rend compte de la manifestation : "Jamais l'église Sainte-Dévote ne connut pareille affluence. Tous les musiciens de l'orchestre étaient là... On rendit hommage à notre concitoyen, qui a joué jusqu'au dernier moment, à qui ni le froid ni la mort n'ont fait trembler l'âme". Un baryton chanta, les musiciens de l'orchestre monégasque jouèrent une fois de plus "Plus près de toi mon Dieu". "Un irrésistible émotion est montée du coeur à tous les yeux, chargée de la douleur de seize cents âmes", raconte Monaco Revue. Cette tragédie connut une suite à peine croyable. Les Américains n'ayant pas envoyé aux autorités françaises le certificat de décès de Roger Bricoux, celui-ci fut déclaré déserteur de l'Armée française pendant la Première Guerre mondiale. Il a fallu attendre plus de quatre-vingts ans, à savoir un jugement du 11 août 2000 du tribunal de Nevers pour que sa mort soit rendue officielle. Plus de quatre-vingts ans pour certifier que l'océan avait englouti ce héros de la musique et de la mer.
Monument en hommage aux musiciens à Southampton lieu de départ du Titanic
Le corps de Roger Bricoux n'a jamais été retrouvé. Son père, Léon Bricoux reçut le 1er mai 1912, une lettre de la White Star Company lui annonçant la disparition du corps de son fils... mais précisant que les frais lui incomberaient s'il était retrouvé ! Le journaliste anglais Steve Turner, qui a écrit sur l'histoire de l'orchestre du Titanic et qui a reproduit ce courrier dans son ouvrage pose les questions que l'on se pose sur la mort des musiciens : "Sont-ils morts instantanément au moment de l'engloutissement du paquebot ? Sont-ils morts de froid dans l'eau ? Ont-ils été broyés par la machinerie du paquebot ? Ou ont-ils été repêchés mais jamais identifiés ?" Nul n'a les réponses à ces questions.
Plaque commémorative en hommage à Roger Bricoux - Cimetière de Cosne-sur-Loire
Comme il est dit dans le récit, il est incroyable qu'il ait fallu attendre l'an 2000 pour que la mort de Roger Bricoux soit officiellement reconnue. Le 2 novembre de cette année 2000, une plaque commémorative a été apposé dans le cimetière de Cosne-sur-Loire, à l'initiative de l'Association Française du Titanic. Sur cette plaque, Roger Bricoux est présenté comme titulaire du "Premier prix du conservatoire de Monaco et musicien du Titanic". Il est précisé que : " Par jugement rendu le 11 août 2000, la Chambre de la Famille du Tribunal de Grande Instance de Nevers a dit que l'intéressé, membre de l'équipage du Titanic, est décédé en mer, dans la nuit du 14 au 15 avril 1912". La sortie du film de James Cameron, en 1997, avec Leonardo Di Caprio et Kate Winslet, avait certainement précipité les choses.
Sources : D'après un article écrit par André Peyrègne dans Le magazine "Nous", supplément du journal Var-Matin N°47 et Wikipédia, l'encyclopédie libre.
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Je mets une vidéo trouvée parmi beaucoup d'autres sur Youtube.
TITANIC : La Légende du Siècle - (1998 Documentaire TF1). Il s'agit d'un reportage diffusé le mardi 17 mars 1998 à 23h05 sur TF1 proposé par Charles Villeneuve et Pascal Praud.