Les lavoirs ou parloirs des femmes
La construction des lavoirs s'effectue essentiellement à partir du XIXème siècle. Auparavant, la lessive s'effectue au bord des rivières, à la fontaine du village ou à la mare communale, en tapant le linge sur une grosse "pierre à laver". Ces points d'eau servent de manière indifférenciée à des usages contradictoires : on y boit et on y fait sa bugado, si bien que l'eau peut être contaminée par le savon et les saletés, y compris les germes contenus dans le linge de maison. Or, au milieu du XIXème siècle, la France est touchée par les épidémies de choléra, de variole, de typhoïde... Il faut dire qu'il n'y a pas vraiment d'hygiène chez nos aïeux. Les autorités médicales insistent sur la nécessité de construire des lavoirs indépendants dans chaque village. En décembre 1851, le gouvernement vote un crédit de 600 000 francs pour la construction de lavoirs publics dans toutes les communes françaises. Ces lavoirs sont bâtis le plus souvent en bordure des villages et même parfois en rase campagne près des sources qui les alimentent. Cet éloignement du coeur des villes et des villages est souhaité par les riverains qui craignent le bruit infernal des battoirs et des commérages des lavandières.
Le travail des lavandières
Elles font au préalable tremper le linge dans des cendres de bois, qui sont riches en carbonate de phosphate. Ces cendres ont été récupérées quelques temps auparavant directement dans la cheminée. Cette opération est destinée à blanchir et à "prélaver" les draps et les vêtements. L'étape suivante est la plus éprouvante et la plus difficile. A l'aide d'un battoir en bois, elles frappent le linge pour en extraire la saleté, tout en le savonnant abondamment. Il est ensuite rincé, essoré, puis savonné et frappé à nouveau sur les margelles inclinées du bassin. C'est un travail éreintant car les lavandières travaillent continuellemnt penchées en avant, les mains engourdies dans l'eau glacée en hiver pour remuer les lourds draps mouillés. La position agenouillée est très pénible. C'est pourquoi, elles s'équipent de petites caisses de bois, qu'elles rembourrent de paille ou enore de coussins pour soulager leurs articulations. Deux fois par an, elles font les grandes lessives, une au printemps et une à l'automne. Là, la majeure partie du linge de la maison est nettoyé pour ensuite affronter l'hiver et l'été. C'est ainsi que les lavoirs sont des lieux de vie essentiels à la vie sociale, car, c'est là que s'échangent les nouvelles, bonnes ou mauvaises, les potins et les cancans. Les hommes surnomment ces endroits : "le parloir des femmes" ou encore "l'hôtel des bavardes".
L'hôtel des bavardes ou parloir des femmes
C'est le lieu où les femmes jugent les autres. Sont-elles de bonnes lavandières à leurs façons de savonner ou bien de battre le linge ? Le linge est-il très sale lorsqu'elles arrivent avec leur brouette ? Est-il troué ou encore mal raccomodé ? Telle jeune fille sera-t-elle bonne à marier ? Trouvera-t-elle un bon mari ? Sera-t-elle capable de bien tenir sa maison ? Les discussions sont animées et parfois, il arrive qu'elles dégénèrent. On se crêpe le chignon. A Signes, dans le Var, en 1934, le maire prend un arrêté qui invite "les usagères du lavoir à faire régner la paix entre elles. Elles ne doivent jamais se disputer avec leurs voisines et les coups de langues ne doivent jamais dégénérer en coups de battoir". Ce linge frotté au vu et au su de tout le monde trahit la position sociale des familles. Les serviettes, nappes ou bien draps finement brodés, du lin ou de la dentelle sont un indicateur précieux à côté des toiles grossières des moins fortunées.
Lavoir à Roumoules (Alpes-de-Haute-Provence-Photo Nadine)
Les lavoirs vont changer d'aspect au cours du temps. Au départ, les plus rustiques sont formés de grosses pierres assemblées en bassin à proximité d'un point d'eau. Puis, les lavoirs se modernisent avec l'amélioration des conditions d'hygiène apportées par le gouvernement. Le lavoir comporte à présent deux bassins distincts pour séparer le lavage du rinçage (le rinçoir, de plus petite taille, est situé à côté de l'arrivée d'eau). Petit à petit, ces bassins sont fermés sur les côtés car d'autres utilisateurs peu scrupuleux s'en servent pour leur propre compte. Ils y font abreuver le cheval, le bétail, les poules et les canards y barbotent apportant leurs miasmes. Les lavoirs sont donc à présent protégés par des murs, ouverts sur un côté et couverts d'un toit.
Lavoir communal de Trans en Provence dit Le Bassin neuf (Photo Nadine). Le mur du fond a été démoli pendant les inondations du 15 juin 2010 et n'a plus été reconstruit. Il n'a plus été mis en eau depuis.
Certains se voient même pourvus d'une cheminée que les lavandières utilisent pour se réchauffer en hiver, ils peuvent être aussi garnis de bancs de pierre afin qu'elles puissent s'assoir pour se reposer un peu de leur long et pénible labeur. Les margelles du lavoir sont taillées dans des pierres du pays : grès, basalte...
Puis, un autre temps viendra. Les lavoirs seront désertés par les ménagères et les lavandières. Plus de wagonnettes (voir l'explication à la fin du texte) chargées de paniers de linge, plus de brouettes regorgeant de linge poussées par les ménagères allant au lavoir. En 1937, Bendix, une société d'aviation américaine, crée la première machine à laver automatique. En France, cet appareil révolutionnaire, qui enchaîne prélavage, chauffage-lavage, rinçage et essorage dans la même cuve, arrive après la Seconde Guerre mondiale. Les maîtresses de maison sont emballées et libérées par cette invention qui leur évite ces manipulations laborieuses et fatiguantes de linge. La machine à laver entre dans les foyers et les buanderies de France.
Et les lavoirs qui ont vu tant de générations de femmes se succéder ne servent plus ou rarement. Lorsque vous passez près de l'un d'eux, soyez curieux et prêtez l'oreille car il vous racontera peut-être les derniers potins de vos aïeules... Certains coulent toujours avec bonheur et le glouglou de l'eau murmure sa douce chanson, d'autres sont vides désormais et se lamentent...
Source : D'après le livre : Le petit bâti, sud de la France - Hubert Delobette - Le papillon rouge éditeur.
Les wagonnettes ou chariots
Dans mon village à Trans en Provence, ces chariots (ci-dessus) étaient désignés sous l'appelation de "wagonettes". Ils étaient composés d'un plateau en bois sur quatre roues et d'une poignée en bois montée sur ferraille pour le diriger. Au Muy, on l'appelait "roulotte". C'étaient les frères Gibert qui étaient charrons qui la fabriquaient et la commercialisaient sous la marque "La robruste". Dans d'autres villages, c'était un "chariot". Si vous l'avez déjà rencontré et que vous lui connaissez une appellation différente, indiquez-le moi dans un commentaire. Merci à vous.
Je vous mets le lien d'un article paru le 4 avril 2015 qui s'appelle : Les lavandières du Rabinon et qui est un témoignage d'un de mes cousins du Muy, historien local, trop tôt disparu : Pierre Taxil.
Pierre Taxil, un de mes cousins muyois trop tôt disparu, était un amoureux de son village, un provençal dans l'âme. Grand collectionneur de cartes postales anciennes et de photos du Muy, il avait fait plusieurs expositions (voir l'affiche de la dernière faite par sa femme en son hommage).
http://www.passionprovence.org