Les Sarrasins en Provence
A quoi correspond le terme de Sarrasins ? C'est la dénomination des peuples de confession musulmane au cours de l’époque médiévale, tels que vus depuis l’Europe. Cette dénomination est particulièrement employée pendant les Croisades et la Renaissance. Se rapportant à une vision simplifiée de l’Occident chrétien médiéval, cette appellation ne reflète pas la diversité des peuples du monde arabo-musulman, qui entre eux se désignaient différemment : le mot Sarrasin est donc un ethnonyme (nom de peuple) de type orientaliste.
L'installation dans les montagnes des Maures de bandes de Sarrasins qui ont dévasté le pays pendant près d'un siècle, les ravages qu'ils ont effectué de part et d'autre des cols des Alpes jusqu'à la région du Valais tiennent une grande place dans l'histoire de notre région. Sur la relation de ces évènements les seuls textes dignes de foi sont très rares et le mystère qui recouvre cette période a permis des affabulations diverses qui ont frappé et frappent encore de nos jours l'imagination. Les chroniques arabes et byzantines ne font aucune allusion à cette installation des Sarrasins en Provence et les annales franques la mentionnent de façon très sommaire, ce qui ramène l'importance de ces incursions à leur juste valeur de troubles régionaux. Le meilleur témoin de ces événements est l'évêque de Crémone, Liutprand, mort en 972, qui vécut une grande partie de son existence à la cour d'Hugues de Provence appelé aussi Hugues d'Arles, roi d'Italie et qui avait ainsi une bonne vision de ce qui se passait en Provence.
D'après les textes, les sarrasins étaient installés au Fraxinetum ou Fraxinet. La commune de La Garde-Freinet conserve encore aujourd'hui ce toponyme qui désignait probablement au Xème siècle, l'ensemble de la région qui s'étend entre le massif des Maures et la mer, soit d'Hyères à Fréjus. La tradition veut que le centre principal fortifié des Sarrasins au fond du golfe de Saint-Tropez, était peut-être établi à Grimaud qui était une cité importante au Moyen Age. Ils ont certainement aussi établi plusieurs points fortifiés le long de la côte afin de protéger leurs liaisons maritimes avec les pays musulmans d'outre-mer. Quelques historiens, d'après certaines descriptions très imprécises, situent dans la presqu'île de Giens, et à l'Almanarre près d'Hyères, l'établissement principal des Sarrasins, d'autres leur attribuent des tours apparemment romanes, sises le long de la côte, et notamment celles de Sanary et du Revest dans la région de Toulon.
En 838, les Sarrasins font irruption dans le port de Marseille, saccagent la ville et repartent en emmenant de nombreux captifs : hommes, femmes et enfants réduits en esclavage ou jetés à la mer. Pendant une trentaine d'années, Marseille et les environs d'Arles subissent les assauts réguliers des Sarrasins. Le coup d'arrêt vient de la détermination sans faille des évêques d'Arles et de Marseille qui élèvent des fortifications imprenables. Mais rien ne semble devoir arrêter les Sarrasins qui durablement installés au Fraxinet lancent des raids fréquents sur la Basse-Provence puis étendent leur zone de pillage à la Haute-Provence et enfin aux Alpes toutes entières. Ils saccagent les monastères, rasent des villages, barrent des routes... Ils apparaissent à Apt vers 896. Au début du Xème siècle, on les voit également sur la Riviera ligure à Albenga et à San Remo, et aussi dans les vallées alpines du Piémont où ils pillent les monastères de San Dalmazzo près de Cunéo et de Novalaise près de Suse. Il paraît incroyable que les Comtes de Provence aient supporté aussi longtemps sans réagir des dévastations qui paralysaient la vie économique du pays tout entier. Il faut expliquer ce fait par l'absence d'une armée régulière que ne pouvait leur offrir un gouvernement central en pleine décomposition. Ils n'avaient à leur disposition que des levées de petits propriétaires. De plus, les bandes sarrasines pratiquaient la guérilla et les coups de main, ils étaient forts habiles à utiliser la protection de nos forêts et de nos montagnes et à fondre à l'improviste dans les vallées. A en croire les chroniqueurs, ils surgissaient des cols des Alpes beaucoup plus que des rivages de la Méditerranée et, au fur et à mesure que l'on avance dans le Xème siècle, on voit croître leur audace, et leur champ d'activités s'étend tout au long des crêtes des Alpes jusqu'en Dauphiné, en Savoie et même dans le Valais.
Hugues d'Arles, après avoir assis solidement sa souveraineté sur l'Italie, essaie de débarrasser la Provence et les Alpes de ces hôtes encombrants. Très judicieusement, il s'assure le concours de l'empereur de Byzance, car les Francs n'ont pas de flotte et en Méditerranée occidentale, seuls les navires grecs basés en Sardaigne affrontent encore avec quelque succès les escadres arabes. De fait en 942, les Byzantins bloquent le Fraxinet par la mer tandis qu'Hugues à la tête de provençaux et de piémontais pousse les pirates dans leurs retranchements. Malheureusement, cette campagne est interrompue par Hugues lui-même qui, apprenant que son rival Bérenger d'Ivrée menace de lui ravir son trône italien, traite avec les Sarrasins et les autorise même à occuper certains cols des Alpes en vue de l'aider à lutter contre son rival. A partir de cette date les bandes musulmanes semblent avoir commis moins d'exactions en Provence rhodanienne, mais ont porté leurs déprédations plus au nord, en Dauphiné et en Savoie. Les Sarrasins retranchés dans des repaires, rançonnent les pèlerins et lèvent un lourd tribut sur les autochtones.
Statue de Saint Mayeul (Photo internet)
L'empereur Otton 1er a engagé en 953 des négociations infructueuses avec le calife de Cordoue pour obtenir le rappel des bandes musulmanes des Alpes. Après avoir réorganisé le pouvoir impérial en Italie, il se préoccupe à nouveau en 968 d'une action à entreprendre contre ces Sarrasins. Le comble survient dans la nuit du 21 au 22 juillet 972, avec la capture au col du grand Saint-Bernard, de Mayeul, abbé de Cluny et de plusieurs pèlerins et voyageurs. Mayeul est né vers 910 à Valensole, il est issu d'une illustre famille provençale et fait l'objet d'un culte très fort dans toute la Provence. Il est le conseiller privilégié d'Hugues Capet, duc puis Roi des Francs (940-996), il a aussi l'oreille de la cour du Roi de Germanie et intervient jusque dans les querelles privées de la famille impériale. On lui propose le siège pontifical à la mort de Benoît VI mais il refuse jugeant qu'il sera plus utile auprès de ses moines et de son abbaye qu'il a contribué à faire connaître par son rayonnement sans égal. Sa fonction à la tête de la congrégation clunisienne en fait un personnage de premier plan et sa capture a un immense retentissement. Les moines et l'aristocratie provençale payent rapidement l'énorme rançon de 1 000 livres d'argent qui a été réclamée et les Sarrasins libèrent Mayeul. Des pourparlers s'engagent alors pour organiser une vaste coalition dans le but de combattre et de chasser définitivement les ennemis, car l'enlèvement de Mayeul a soulevé un émoi populaire et une volonté d'en finir une fois pour toutes avec l'envahisseur. Les Provençaux appellent le comte de Provence Guillaume 1er à lancer une guerre de libération contre les Sarrasins "au nom de Mayeul". Après avoir levé une armée qui compte également des soldats du Bas-Dauphiné et de Nice, et aidé de son frère Roubaud et d'Ardouin, marquis de Turin, Guillaume traque les Sarrasins et les écrase définitivement à la bataille de Tourtour en 973. Retranchés dans la forteresse de la Garde-Freinet, les Sarrasins sont chassés vers une forêt voisine, la forteresse est rasée et les quelques survivants sont tués ou fait prisonniers. Les Sarrasins survivants sont baptisés de force et réduits en esclavage.
Avec le départ des Sarrasins s'achève une page particulièrement troublée de l'histoire de la Provence. Désormais, la sécurité est rendue aux campagnes provençales. L'honneur de cette victoire rejaillit sur Guillaume 1er "le Libérateur" surnommé le Grand, qui s'affirme comme le chef incontesté de la partie méridionale du royaume de Bourgogne. Guillaume prend le titre de marquis de la Provence arlésienne puis prince de toute la Provence qui devient une principauté indépendante. De Toulon à Nice, la région côtière est soumise à son autorité. Il distribue aux grands de son entourage, aux églises et aux monastères, les terres qui ont été abandonnées. Un rapide essor démographique et économique va rendre à la Provence sa prospérité d'antan.
Devenu très pieux à la fin de sa vie, Guillaume le Grand restitue de nombreux biens à l'Eglise, dont les anciens domaines de l'évêché de Fréjus et, en surplus, le village du Puget. Il rend également de nombreux et vastes domaines de la région de Camargue au monastère Saint-Jean d'Arles. Enfin, en 993, il revêt l'habit monastique, fait de généreuses offrandes à l'abbaye de Cluny et s'éteint dans les bras de Saint Mayeul, entouré de la multitude de ces fidèles sujets.
Source : D'après le site internet sur Forum Julii - Texte arrangé et enrichi par moi-même - Documents utilisés pour cet article : Histoire de la Provence de Baratier et Documents de l'Histoire de la Provence du même auteur. Egalement d'après le site internet sur le Pays d'Aix.
Je mets ci-dessous le lien d'un de mes articles consacré également aux Sarrasins.
La recrudescence de la piraterie sarrasine sur les côtes provençales dans le dernier quart du XIVe siècle et les premières années du XVe siècle est un phénomène qui a été bien étudié par les historiens de la Méditerranée médiévale.
http://www.passionprovence.org