L'industrie de la céramique varoise
De l'eau, de l'argile et du bois. Ces trois ressources essentielles au développement de l'industrie de la céramique, sont le point commun entre Salernes et Varages et le point de départ d'une aventure qui a largement fait connaître ces deux localités hors des frontières de notre département.
A Varages, la tradition faïencière remonte à 1695. Le village, alors pays de potiers, se convertit à cette production en vogue sous Louis XIV, sous l'influence d'un marchand marseillais : Maître Gaspard Fazende. Ce papetier avait laissé à ses frères le soin de conduire les moulins et s’était établi à Marseille comme marchand. Il montait de Marseille vers Moustiers des balles de chiffons, du plomb et de l’étain, nécessaires à l’industrie naissante des faïenciers Clérissy.
De Moustiers, il descendait le papier et les premières faïences. Il faisait escale à Varages qui se trouvait sur son chemin. Le 8 mai 1676, il épouse une demoiselle Armand. En 1690, le jeune Etienne Armand, son neveu, entre en apprentissage à la faïencerie de Saint-Jean du Désert (quartier de Marseille) chez François Viry, faïencier. En 1695, il est de retour à Varages. Il conclut un marché avec Gaspard Fazende : Etienne louera à Jeanne Florens, la veuve du potier André Ferrat, une partie de maison, four et boutique qu’elle possède quartier du Pont, qui deviendra la Fabrique du Pont. L’acte est signé le 24 mars 1695.
La faïencerie est encore à mettre sur pied mais Fazende y pourvoira. Il financera l’outillage et les matières premières. Etienne de son côté s’engageant à lui céder toute sa production à un prix déterminé. En même temps il reconnaît n’être dans l’affaire que le prête-nom de son oncle. Deux copies de ses premières pièces, datant de 1697 et 1698, sont conservées au Musée associatif des faïences, dans le centre du village - les originaux appartenant au musée de Sèvres et à une collection particulière.
Un des deux plats réalisés par Etienne Armand (Photo Musée de Varages)
L'artisan faïencier sera suivi par d'autres. Les premières réalisations sont exclusivement en camaïeu de bleu, puis apparaissent l'ocre, le polychrome. "Les générations changent, les décors évoluent. Huit faïenceries sont actives en 1780, employant une centaine d'ouvriers, mais l'apparition de la porcelaine et la Révolution portent un coup à la production. Les décors se simplifient : seuls 4 peintres subsistent en 1830. Les pièces deviennent utilitaires. En 1850, apparaît la faïence fine, une technique différente de celles de grand feu et de petit feu utilisées jusqu'alors. Le XXème siècle voit la fabrication s'industrialiser : plusieurs brevets sont déposés pour améliorer les outils de production. Quatre manufactures tournent jusqu'en 1980. Elles fermeront les unes après les autres, rattrapées par la concurrence étrangère. Cependant, malgré cela, depuis 300 ans, la production de la faïence ne s'est jamais arrêtée à Varages. Deux artisans perpétuent le savoir-faire dans le village, et la Faïencerie de Varages poursuit une production manufacturière.
Sucrier XVIIIème siècle (Photo Musée de Varages)
Bouillon XVIIIème siècle (Photo Musée de Varages)
Le musée des faïences de Varages
Installé dans l'ancienne demeure du général d'Empire Gassendi, le musée retrace la production faïencière de Varages depuis la fin du xviie siècle. Il offre aux visiteurs un espace de plus de 250 m2 sur trois niveaux, qui abrite une présentation des techniques de fabrication et une collection de plus de 1000 pièces.
Le rez-de-chaussée est consacré à la présentation des différentes techniques de fabrication, d’émaillage et de décoration, ainsi que de leurs mutations. Les deux étages supérieurs sont consacrés à l’exposition de la collection et montrent l’évolution décorative et artistique de Varages de 1695 à nos jours.
Salernes - Fabrique de tomettes Dauphin
A moins de trente kilomètres de là, Salernes reste un nom de référence pour la fabrication de tomettes et de carrelages. A la fin du XVIIIème siècle, les villageois, essentiellement tournés vers l'agriculture, utilisent l'argile locale pour des poteries domestiques, une tradition qui remonte à la préhistoire. Mais la terre rouge de Salernes offre bientôt un meilleur débouché : utiliser la terre cuite pour le sol. Sous l'impulsion de la famille Cotte, plusieurs artisans développent dès 1825 la production d'un carreau hexagonal. C'est la fameuse tomette de Salernes. "L'hexagone a l'avantage de ne pas se déformer à la cuisson à la différence du carreau carré qui peut devenir parallélépipède, sous l'effet d'une mauvaise répartition de la chaleur", rapporte Sophie Magnier, responsable de la Maison de la céramique architecturale Terra Rossa, où l'histoire de cette fabrication est détaillée. Le village, arrosé par la rivière la Bresque et ses affluents, se structure autour de cette économie jusqu'à en faire une marque de fabrique. La production est d'abord artisanale puis s'industrialise au fil des ans car la ressource est abondante. En effet, les forêts des alentours, qui seront reboisées au fur et à mesure, fournissent le bois nécessaire : 25 tonnes pour chaque fournée industrielle qui dure 7 jours à 1000 °C. Mais la commune dispose de gisements d'argile importants, à l'est du village et jusqu'à Villecroze. Ces gisements, très rouges à cause de leur teneur en fer, se sont constitués il y a plus de 50 millions d'années, alors que le territoire était recouvert d'un grand lac. La qualité exceptionnelle de la terre conjuguée au savoir-faire salernois – et des villages limitrophes – sera plébiscitée jusqu'en Amérique du Sud et en Afrique, où cette matière naturelle offre confort et fraîcheur aux belles demeures des pays chauds. Au début du XXème siècle, la production est florissante.
Salernes - Usine à tomettes - Le séchoir
Salernes - Intérieur d'usine de tomettes
Le village compte 53 fabriques en 1913. Près de 1200 ouvriers réalisent jusqu'à soixante millions de pièces par an. "Un chiffre probablement sous-estimé", fait valoir Sophie Magnier. "Récemment des chercheurs du CNRS nous ont indiqué que ce serait plutôt 500 000 millions de pièces".
Le musée municipal Terra Rossa
Ce musée a été conçu par l'architecte Jean-Michel Wilmotte dans une ancienne fabrique. Il célèbre depuis 2009 la mémoire de cette culture ouvrière qui a décliné après-guerre. Plus largement, il témoigne de la longue tradition de la céramique, comme l'attestent les poteries du Néolithique trouvées dans les années 1970 à 1990 par le préhistorien Jean Courtin dans la grotte de la Baume de Font-Brégoua, toute proche. Ces pièces figurent parmi les plus anciennes connues, non seulement en France mais dans toute l'Europe occidentale ! Loin d'être tourné uniquement vers le passé, Terra Rossa met en lumière les céramistes locaux qui poursuivent cette tradition. Six entreprises fabriquent encore du carrelage sur la commune. "Elles se fournissent dans les deux carrières de Salernes et Villecroze, exploitées par la Fabrique d'argile de Salernes, un Groupement d'intérêt économique dont elles sont actionnaires", souligne Sophie Magnier. Le village et ses environs comptent aussi une quinzaine de potiers, créateurs, artistes, réunis dans l'association "Autour de la terre". Puisant dans une pratique ancestrale, tous ces céramistes réinventent le travail de la terre et assurent la continuité de la notoriété varoise. S'ils ouvrent volontiers leurs portes, ils disposent d'une vitrine au sein du musée Terra Rossa qui s'inscrit largement dans la création contemporaine internationale. Chaque année des pointures sont invitées pour des master class professionnelles, et tous les deux ans, la Biennale de la céramique expose des grands noms de la céramique.
Source : Magazine Le Var N°5 Eté 2018 Edité par le Conseil Départemental du Var
Je vous mets le lien pour lire un article sur le même sujet que j'avais publié le 13 novembre 2012.
Dès le cinquième millénaire avant notre ère, les argiles du terroir ont été exploitées par les potiers du Néolithique. Des fouilles importantes ont permis de mettre à jour des vases datant de 7 000 ans et considérés comme les plus anciens d'Europe Occidentale.
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