La naissance des villages varois
La Provence est, de nos jours, l'une des régions les plus fortement urbanisées de France. Cela ne signifie pas seulement un réseau dense de villes mais s'applique également au monde rural où l'habitat groupé est le modèle dominant. Le paysan, petit propriétaire ou journalier, n'habite pas souvent sur sa terre mais dans le village. Cette réalité s'est poursuivie jusqu'à la dernière guerre.
Oppida, castra et villages médiévaux
Les ancêtres de nos villages, les oppida se développent vers le VIème siècle avant J-C. Dans le Var, leurs traces sont très nombreuses. Cependant, la trame des villages tels que nous les connaissons ne s'est véritablement constituée qu'aux périodes médiévales et modernes. Parmi la dizaine de villages qui nous servent d'illustration, seuls le vieux Cannet-des-Maures réutilise un site d'enceinte protohistorique et Cuers celui d'un établissement romain. Ce n'est qu'à la période incertaine du haut Moyen-Age qu'on assiste, vers la fin du Xème et le début du XIème siècle, à une renaissance sous la forme de castra. Ainsi, le vieux Cannet-des-Maures datant peut-être du VIIIème siècle est attesté dès le IXème siècle et Cuers est mentionné comme "castro quod vocatur Cocrius" en 1032 dans le cartulaire de l'abbaye Saint-Victor de Marseille. Au XIIème siècle, la carte des implantations des villages telle qu'elle subsiste est pour une bonne part constituée. Les sites perchés, rebords de plateaux à flanc de colline dominant la vallée d'un ruisseau sont privilégiés.
Ainsi, Le Luc, Ramatuelle, Cuers, Collobrières, le vieux Cannet, ainsi que Haute-Ville et Château-Royal, sites primitifs abandonnés de Puget-Ville et Carnoules. Le regroupement se fait autour de l'église ou du château qui occupent le point culminant : église à Collobrières, château au Luc et à Ramatuelle, château et église au vieux Cannet et à Cuers. Si Le Luc, Ramatuelle et Cuers sont clos de murs, Collobrières et le vieux Cannet sont ouverts. Ramatuelle, proche de la côte, commandant une voie de passage nord-sud, ne débordera ses murs que très tardivement. Le vieux Cannet pouvait abriter ses habitants en petit nombre à l'intérieur du château même, alors que Cuers et Le Luc, cités déjà importantes, devaient avoir une enceinte propre. La morphologie de ces villages médiévaux est encore bien visible au vieux Cannet ou encore à Ramatuelle qui ont peu évolué, ou dans les coeurs des autres villages. La structure est fortement influencée par le terrain : plans radioconcentriques aux rues suivant les courbes de niveaux et recoupées de ruelles en forte pente parfois rachetée par des pas-d'âne, aux tracés heurtés, en chicanes ou en impasses. Les rues sont étroites, l'espace rare est occupé au maximum, les passages couverts permettent de construire sur la rue.
L'habitat du XVème au XVIIIème siècle
Ces premiers noyaux connaissent ensuite une extension plus ou moins rapide avec des périodes d'expansion ou de récession suivant les vicissitudes du moment. Le milieu du XVème siècle et le début du XVIème voient les premières extensions notables de nos villages et m'amorce d'une tendance qui ira en se poursuivant au fil des siècles : le glissement le long de la pente vers la plaine. Les inconvénients dus aux sites perchés sont l'une des raisons de leur abandon progressif. Une nouvelle enceinte plus vaste est édifiée au Luc et à Cuers. Elle est parfois précédée par des fondations religieuses qui entraînent la constitution de faubourgs excentrés englobés plus tardivement dans l'agglomération. Ainsi au Luc, le faubourg des Carmes et à Cuers, celui des Bernardines. Le déplacement du centre est marqué à Cuers par la reconstruction de l'église dans la plaine après les guerres de Religion.
Collobrières ne commence à se développer qu'aux XVIIème et XVIIIème siècles. Ramatuelle reste limité à son périmètre médiéval jusqu'au début du XIXème siècle. Entre 1470 et 1520, se situe la période des actes d'habitation passés à l'initiative des seigneurs laïques ou ecclésiastiques en vue de la remise en valeur de leurs terres après le dépeuplement des deux siècles précédents. Les réfugiés des villes sont incités à retourner aux champs par la création de nouveaux villages. Tel est la cas de Saint-Tropez repeuplé, par un acte d'habitation de 1470, sur un site différent de celui des fondations précédentes plusieurs fois ravagées et plus avantageux : site défensif protégé par la colline de la citadelle et site portuaire relativement abrité, à plusieurs anses. Entouré d'une enceinte très tôt débordée, ses nouveaux quartiers sont circonscrits au début du XVIIème siècle par une nouvelle enceinte. Carnoules en 1475 remplace Château-Royal et Vidauban le castrum de Vidalbano en 1511. Bien qu'édifiés en léger surplomb, la morphologie de ces villages est très différente de celle des castra. Le tracé des rues est rues est approximativement orthogonal (perpendiculaire) et régulier et celles-ci sont plus larges. Mis à part à Saint-Tropez, à cause de son éminent rôle stratégique, on n'éprouve plus le besoin d'être protégé par des murs.
Autres création plus tardives et moins délibérées, Puget-Ville et Les Mayons. Puget-Ville se constitue au XVIIème siècle à partir de trois noyaux agglomérés situés sur une terrasse de faible dénivelé et remplace l'ancien chef-lieu de Haute-Ville. Les Mayons se forment au XVIIème siècle à partir de hameaux ruraux. L'habitat du XVIème au XVIIIème siècle nous est mieux connu car il est en grande majorité conservé dans sa structure. Il correspond à une population composée de paysans modestes et de petits artisans. Sur des espace exigus, il faut abriter à la fois la famille, les récoltes et le bétail (rare). Au rez-de-chaussée, la remise-écurie, pour le mulet nécessaire aux déplacements et au transport des récoltes entre la terre et le lieu de traitement ou de stockage, sert aussi de poulailler ou de loge à cochons ; au premier étage, le logis ; au deuxième étage, le fenil-grenier qui se distingue en façade par une seule fenêtre plus large et un mât de charge. Le souci d'agrandir cet espace vital à également conduit au creusement de caves, lieux de transformation et de stockage des produits (vin et huile d'olive). Quelques demeures de notables, plus vastes et plus ornées sont réparties dans le village.
Aux XIXème et XXème siècles, l'évolution
Le groupement fait alors place à l'étirement le long des voies de circulation, sur les sorties de village. C'est aussi la grande période des lotissements. L'extension de Saint-Tropez, du XVIIème au XIXème siècle, se fait sous cette forme ; Vidauban entièrement détruit par un incendie au XVIIIème siècle est le résultat d'une politique de lotissement ; la ville de Cuers achète pour le détruire en 1788 le couvent de Sainte-Ursule et ses dépendances en vue de construire un grand quartier ordonné selon un réseau "savant" de rues en patte d'oie ; Puget-Ville, de 1811 à 1848 voit la création d'un quartier qui porte sur le cadastre de 1848 le nom de Quartier Neuf et dont la construction se poursuit après cette date ; Collobrières, de 1825 à 1865, élabore un nouveau quartier.
Dans ces nouveaux quartiers, les annexes agricoles sont séparées des demeures et rejetées sur les marges (Collobrières, Ramatuelle, Saint-Tropez, Vidauban), regroupées dans certains îlots comme à Carnoules ou dans certaines rues (Puget-Ville, Saint-Tropez, Vidauban). De même on observe une ségrégation sociale plus marquée, les demeures bourgeoises se situent sur les rues principales et les places, cette localisation obéissant plus à un souci d'ostentation que de confort. Le statut social est aussi plus affirmé par les proportions, l'emploi de matériaux différents (la pierre de taille peu employée dans le Var où c'est le blocage enduit qui domine, le décor (corniches remplaçant les génoises, cordons entre les étages, encadrements de baies, décors moulés, etc...), portes-fenêtres à garde-corps en fonte décorée, etc... A cette époque, le Cannet-des-Maures nous donne l'exemple d'un changement de site tardif et de constitution d'un nouveau "village" sous la forme d'un lotissement. Le vieux Cannet-des-Maures était de plus en plus déserté. En 1880, on prend appui sur un hameau qui s'était développé autour de la gare du chemin de fer P.L.M. et que l'on dote des équipements nécessaires (mairie, église, école) pour permettre la transfert du chef-lieu en 1903. Le Cannet n'a pas la structure d'un village traditionnel. C'est une simple juxtaposition de maisons souvent construites en retrait, au milieu de jardins, et reliées par des voies de desserte larges et rectilignes.
Et maintenant ?
Qu'en est-il aujourd'hui de l'évolution des villages varois ? L'extension le long des routes et par le biais de lotissements se poursuit. Ces derniers prennent des formes diverses A proximité des villages, on a conservé le modèle urbain de la rue : tracé orthogonal de voies où cependant les maisons entourées de jardins ne forment plus des alignements continus. C'est l'habitat pavillonnaire. Au cours des deux dernières décennies, les lotissements ont pris un nouveau visage. Ils sont le résultat d'un simple partage d'un terrain par un promoteur entre plusieurs propriétaires. On peut aussi noter deux avatars modernes des changements de site : les lotissements édifiés à l'écart de l'ancien village ais à qui l'on donne la structure d'une agglomération traditionnelle renforcée par l'utilisation d'une architecture "néo-provençale" et les "marines" (Port-Grimaud, les Marines de Cogolin...), villages nouveaux aménagés en étroite symbiose avec un port et entièrement soumis aux nouveaux impératifs économiques nés du tourisme.
Source : Magazine "Vieilles maisons françaises" - N° 107 - Avril-Mai 1985 - Article de Geneviève Négrel, chercheur de l'inventaire général Provence-Alpes-Côte-d'Azur.