L'histoire du kermès et de la garance
Les œufs d’un petit insecte parasite, le kermès et les racines broyées d’une plante marécageuse, la garance, furent les substances qui pendant des siècles permirent de teindre les étoffes en rouge, c'est-à-dire : vermillon, écarlate, cramoisi ou rouge turc. Le vermillon et l’écarlate étaient obtenus en cueillant sur un chêne les œufs minuscules d’un insecte, le kermès. Les kermès femelles accrochés aux rameaux du chêne, se couvraient au moment de la ponte d’une sorte de carapace afin de protéger leurs œufs remplis de couleur rouge. La cueillette du kermès était comme le glanage, un droit des pauvres consacré par l’usage. Elle se faisait vers le mois de mai, par les femmes et les enfants, qui s’étaient laisser pousser les ongles pour mieux détacher les petites capsules de l’écorce. On étendait ces "graines" sur de larges toiles que l’on arrosait de vinaigre pour tuer les bêtes. On laissait sécher au soleil, puis on tamisait.
La vente de la poudre rouge ainsi obtenue se faisait à Arles, au port de Crau. Mais un jour parvint d’Amérique la cochenille du Brésil. Cet insecte, parasite d’un cactus, était beaucoup plus riche en principe colorant. Son succès réduisit considérablement l’importance de la cueillette du kermès, sans toutefois la condamner à disparaître. L’introduction de la culture de la garance en Provence est due à l’agronome arménien Hovhannès Althounian dit Jean Althen (1709-1774). Fils d'un gouverneur de province de Perse, qui fut massacré par les Turcs, son fils Hovhannès fut capturé par les Arabes dans le sud de la mer Noire et vendu comme esclave à un trafiquant d'Asie mineure. Pendant les quinze ans de sa captivité, il fut affecté à la culture de la garance. Ayant réussi à s'évader, il parvient jusqu'au port turc d'Izmir (Smyrne), et se plaça sous la protection du consul de France. Il réussit à le passionner par son savoir et à l'intéresser à la plante tinctoriale. Informé, le marquis d'Antin, lui permet de se réfugier en France à la condition qu'il puisse emporter avec lui des graines de garance. C'est ainsi qu'il arrive à Marseille en 1736. En exploitant les connaissances acquises pendant sa captivité, il introduit la garance dans le midi de la France. Ainsi naquirent les garancières qui permirent de rentabiliser les terres incultes, où ne croissaient que des roseaux. Jean Althen qui avait établi une grande garancière à Caumont dans le Comtat Venaissin mourut le 17 novembre 1774 dans la maison de sa fille Marguerite, assez misérablement. Son corps fut inhumé dans le cimetière du village.
Jean Althen, statue élevée sur le Rocher des Doms d'Avignon (Photo Wikipédia)
Plaque sur la socle de la statue (Photo Wikipédia)
Ce n’est que beaucoup plus tard alors que la culture de la garance connaissait un succès très grand en Provence - cinquante moulins tournaient jour et nuit, huit mois de l’année dans le Vaucluse - que Jean Althen obtint la reconnaissance publique. Tout un quartier de Monteux, dont les paluds (marécages) avaient vu s'installer les premières garancières, fut détaché de la commune, par ordonnance du 4 juin 1845 et érigé en commune indépendante sous le nom d'Althen-des-Paluds. La ville d'Avignon lui érigea une statue en bronze sur le rocher des Doms, elle fut inaugurée le 21 novembre 1847.
Travail de la garance
La garance était semée en mars et récoltée en automne l’année d’après. Les racines étaient exposées au soleil pour être séchées, puis on les portait au moulin. La poudre obtenue était mise en sac et vendue. Il fallait d’abord préparer les toiles avant de procéder au garançage, c’est-à-dire à la teinture ou à l’impression sur la toile de tous les tons du brun au rouge. On blanchissait les toiles pour les débarrasser de l’huile et de l’apprêt introduits lors des opérations de filage et de tissage. Puis on les faisait tremper dans une solution de bouse de vache afin de fixer les mordants sur le coton. Les mordants étaient des sels métalliques qui permettaient par leurs réactions avec les matières colorantes de fixer la couleur sur le tissu de manière permanente. Le mordant associé aux nuances de rouge et de rose était l’acétate d’alumine et l’ouvrier l’imprimait à l’aide d’une planche de bois, plus tard d’un rouleau de cuivre. La toile était alors plongée dans un bain de racines de garance qui agissait comme un révélateur photographique et lui faisait prendre les couleurs désirées.
Au sortir du bain de garance, toute la toile était rouge et il fallait la blanchir à nouveau : quatre jours étalée sur un pré, puis à nouveau plongée dans un bain de bouse de vache, puis encore quatre jours sur le pré. Elle était ensuite lavée. Seuls restaient encore visibles sur le fond blanc les motifs bruns, rouges et roses. Tout cela rend bien compte de la folie qu’était l’impression sur tissu à une époque où le temps passé, le travail, la main d’œuvre avaient un tout autre sens. La garance permettait aussi de teindre en rouge uni les tissus de coton et le plus beau des rouges était sans conteste le rouge d’Andrinople, appelé encore rouge turc, dont les Provençaux furent de grands consommateurs.
Source : Couleurs de Provence – Michel Biehn – Flammarion
Complément
En 1829, le roi de France, Charles X impose au troupier français le pantalon et le képi rouge garance afin de favoriser la culture française de la garance et d’avoir une couleur moins salissante que le blanc. Mais pendant la Première Guerre mondiale, ce rouge vif expose alors les militaires français aux tirs des soldats allemands, équipés de tenues de couleur neutre. A la fin de 1914, l’usage militaire du rouge est abandonné au profit du bleu horizon moins voyant. On emploie l’expression "rouge garance" pour décrire la couleur des pantalons des soldats français de la Première Guerre Mondiale.
Source : Le site : www.provence7.com