Crimes dans une bastide entre Riez et Valensole en 1799 (2ème partie)
En 1899, dans son étude sur le brigandage dans les Basses-Alpes, l’abbé Maurel insiste sur le drame qui, en cette fin de l’année 1799, a frappé la maisonnée. Il a d’ailleurs accès à des documents qui lui permettent, écrit-il, de connaître le nom d’au moins un des criminels et les circonstances de son arrestation. De son côté, le ministre de la Police générale est choqué par le niveau criminel atteint, il s’étonne auprès du commissaire central des Basses-Alpes – c’est le représentant du gouvernement, une fonction qui disparaît lorsque sera créé le corps préfectoral – de l’absence d’informations sur ses auteurs. Il lui écrit : "Ces scélérats étaient nécessairement nombreux et leur qualité d’étrangers n’aurait fait qu’éveiller plutôt l’attention sur leurs démarches". S’inspirant de ses lectures sur d’autres faits présentant des similitudes – la manière d’opérer des criminels – l’abbé Maurel reconstitue la scène avant le drame : femmes, hommes et enfants de la maisonnée ont été surpris à l’heure du repas du soir. Les autorités tentent d’arrêter cette bande après avoir battu la générale. Les gardes nationales de Riez et de Montagnac battent la campagne, en vain
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Voilà ce qu’écrit l’abbé Maurel en 1899 : c’est l’enfant âgé d’un plus peu de trois ans, Jean-Paul, qui, à Riez, reconnaît dans la foule un des brigands. Le désignant du doigt, il aurait dit : "Vaqui aqueou qu’a tua moussu". Maurel poursuit : "Saisi, convaincu, le bandit entre dans la voie des aveux, déclare, soit par forfanterie, soit pour décharger ses compagnons, que sur onze victimes, lui seul en avait assassiné neuf" mais il ne dévoile pas le nom de ses complices. Maurel ne livre pas le nom de l’assassin. Or, un seul brigand fut fusillé à Riez : Jean-Baptiste Jugy (Jugi ou Juge), 24 ans – il est né dans la paroisse de Brunet le 11 mars 1777, où il réside chez son père, à la bastide de Lincel, en limite de terroir de la commune. Sa famille est locale : Brunet, Bras et Saint-Julien-d’Asse. Jugy n’est pas un enfant de choeur : il a été reconnu par des victimes d’attaque. Suzanne Bernard veuve Clarenty, de la campagne Dalmas sur le terroir de Valensole, l’identifie parmi les six brigands qui, dans la deuxième décade de prairial an 8 (en juin 1800), l’avant-veille de la Fête-Dieu, "lui passèrent la corde au col et la suspendirent à la porte" et de l’avoir "outragée". Jugy appartenait à une petite bande commandé par le célèbre Elzéar Garcin, dit Pouli Pastre (le Beau Berger) d’Oraison, un vrai mauvais garçon. Or, Jugy n’a pas été arrêté à Riez mais chez son père, le 5 messidor an 8 (24 juin 1800), au petit matin, par un détachement de seize hommes, dont six gendarmes : il dormait dans le foin. Lors de l’interrogatoire conduit par le capitaine délégué pour la chasse aux brigands et le juge de paix du canton de Digne, il dénonce ses camarades et livre des indications pour les capturer. Conduit à Avignon, Jugy est condamné à mort par la commission de la 7ème division militaire le 2 thermidor an 8 (21 juillet 1800). Il est exécuté le 6 suivant (25 juillet 1800), à Riez, à 4 h 30 du soir, sur la place des Ormeaux, par un détachement de la 47ème demi-brigade d’infanterie de ligne placé sous les ordres d’un capitaine. L’officier de l’état civil rendu sur place écrit sur l’acte de décès que, rendu sur place avec deux témoins : "Nous avons vérifié que ledit Jean Baptiste Juge était réellement mort ayant trouvé son cadavre étendu par terre". Jugy était-il coupable de ce crime ? Rien n’est moins sûr. à ce massacre, il existait un précédent, remontant à quelques années, le 7 frimaire an 5 (27 novembre 1796) par les bandes locales à la bastide des Molières, à Pourcieux dans le Var, près de Pourrières, ce dernier bourg étant à l’origine d’une bande très puissante. Ce jour-là, les témoins découvrent six cadavres, les mains liées dans le dos, les yeux bandés. Le ménager Mathieu Fabre, 47 ans, son épouse Marianne, 36 ans, et Marie, leur fille de 8 ans, ainsi que son beau-frère, Pierre Barrême, et les deux bergers, Jean André Blanc et Honoré Isnard, respectivement âgés de 17 et 30 ans, ont reçu soit un coup de sabre au cou soit un ou plusieurs coups de baïonnette ; de ce massacre, un survivant : un enfant de deux ans encore dans son berceau. Marianne avait été pendue dans la chambre et la plante de ses pieds était brûlée. Enfin, à un "grand" brigand du Var, de son nom Pons, qui dressa aux enquêteurs la liste de ses méfaits et livra les noms de plus de cent brigands et de leurs complices, on posa cette question : - Avez-vous entendu parler d’un vol et de l’assassinat de onze personnes commis à la bastide d’un nommé Blanc au terroir de Riez ? - J’en ai entendu parler vaguement, mais je ne connais aucun des auteurs.
Comme si cette vérité, pour un assassin, était indicible.
Riez - Acte de décès de Jean-Baptiste Juge le 6 thermidor an 8 (25 juillet 1800)
Sources : Histoire d'archives - Les archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence racontent - "Un crime abominable à Riez en l’an 8" - Janvier/Février 2022 - Mag 188 et Brigands des grands chemins dans les Basses-Alpes de l'an 8 à l'an 13 de la République - Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence.