L'hostel aux mouches : les abeilles
Le Var est l'un des tout premiers départements pour la production de miel : plusieurs centaines d'apiculteurs amateurs, une quarantaine de professionnels menant des centaines de ruches, jusqu'à mille parfois. Les capitales en sont Bauduen, Le Muy, Cotignac, Comps-sur-Artuby, Taradeau où se multiplient les ruchers. D'autres villages ne sont pas négligeables, tels Claviers, Bargemon, Vinon-sur-Verdon, Aups, Pourrières, Tourtour, Correns, Ginasservis où les "hostels aux mouches" ne manquent pas. Le miel et la cire, produits essentiels des abeilles, étaient le sucre des paysans et le cierge des églises : mêlé au vin, le miel en masquait l'aigreur, prière vivante et lumineuse, la cire chassait le suif fumeux. Dès le XIVe siècle, Brignoles concentre cette richesse en une ciergerie qui fonctionnera encore à la fin du XIXe siècle. Longtemps, on se contentera de récolter les ruches sauvages dans les forêts : véritables produits stratégiques, il se créa autour d'eux le droit d'abeillage réservant aux seigneurs la vendange du miel. Quand l'élevage s'en répandit à partir du XVIe siècle surtout, ce droit évolua en une taxe perçue en essaims, ruches, miel ou cire, l'Eglise y participa par la dîme. Le Haut-Var n'échappe pas à la règle, ramassée dans le Code rural qui laisse l'abeille à son état de nature, sauvage. Aussi, les litiges sur la propriété d'un essaim échappé sont multiples : survivance de l'abeillage, le droit seigneurial le juge telle une épave, bien du maître des lieux. Sauf si le propriétaire de l'essaim ne l'a pas perdu de vue et le prouve par le grand tapage qu'il provoque à sa suite dans le souci de multiplier les témoins
Le développement de l'apiculture dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle va devoir vivre en concurrence avec la parfumerie de Grasse, situation originale de la région de Draguignan. D'un côté les parfumeurs avec leur faucille, en quête de lavande, de l'autre les paysans et leurs abeilles avides de pollen et de nectar de ces mêmes fleurs. Dès 1758, les gens de Mons qui s'étaient déjà distingués au XVIe siècle par le bombardement des troupes du duc de Savoie avec leurs ruches, interdisent tout ramassage aux Grassois, une mesure identique est adoptée à Bargème en 1783. La Roque-Esclapon en 1780 et Ampus en 1782 font interdiction de coupe pour distillation. Le problème ne se résoudra qu'avec la culture des lavandes, un siècle plus tard, attestant l'ancienneté de la fabrication varoise du miel de lavande, sans doute le meilleur pour sa délicatesse de parfum. Pourtant, produit indispensable au temps où le sucre restait à inventer, essentiel quand ce dernier était d'un trop grand prix, le miel devient, au XIXe siècle, un simple appoint. Il le restera jusqu'à nos jours où on le redécouvre avec ses vertus. Le Haut-Var offre à cette activité des avantages multiples : peu d'emprise urbaine ou de lotissements, pas de pollution, une variété et un étagement des saisons qui conduisent à la variété des floraisons, à leur échelonnement et tout naturellement à la transhumance. Elle n'est pas nouvelle mais réclame des soins multiples. Le transport des ruches autrefois devait s'effectuer non sur des charrettes mais à dos d'homme ou sur une perche afin d'éviter des secousses préjudiciables à la santé des ouvrières. La circulation en était limitée car chaque village défendait ses espaces. De nos jours, c'est encore cette transhumance courte qui est pratiquée par les amateurs, s'il le peuvent, ils poussent dans les Alpes-de-Haute-Provence pour atteindre les fabuleuses lavandes du plateau de Valensole. Les professionnels eux s'éreintent en des courses plus lointaines. Au volant de leur camion, à la poursuite des fleurs, ils emportent les ruches, de nuit pour être certains de la présence de leurs abeilles. Tout commence avec le romarin qui tend ses inflorescences bleues aux mouches qui viennent y recueillir le premier miel, de février à avril. Mai donne le thym, juin les lavandes : pour elles, les abeilles commencent le voyage qui s'achevera sous les sapins du Jura ou du Queyras et dans les alpages fleuris. Le "berger des abeilles" doit louer ses pâturages comme pour tout bétail : quand tout va bien, il récolte près d'une vingtaine de kilos à chaque déplacement et par colonie mais gare au coup de froid ou de chaleur, à l'humidité excessive...
Au retour, on installe ce monde en hivernage vers Cotignac. Les produits sont multiples : miel de haute montagne, de romarin parfois enrichi par l'amandier, le mille-fleurs des vergers et surtout celui de lavande qui mérite un label. Aussi la gelée royale, le pollen en grains ou en poudre, la propolis jusqu'ici peu utilisée : les apiculteurs varois ont appris très vite à la conditionner en tablettes à mâcher, mêlée à du miel ou en crèmes cosmétiques. Les abeilles contribuent encore pour l'entretien de la beauté, de la toilette et pour la confiserie. Si certaines mielleries ont pignon sur rue comme à Montfort-sur-Argens, Lorgues, Trigance, Camps-la-Source, Aups, Tardeau, Le Thoronet, etc... et pratiquent la vente directe et par correspondance, l'essentiel disparaît sur les marchés locaux, sans difficulté : rançon de la qualité et du niveau de l'apiculture varoise.
Source : D'après Le Var des collines - Edisud.