En 1839, Victor Hugo parcourt la Provence
Juliette Drouet et Victor Hugo. Lithographie de Léon Noël.
Victor Hugo en voyage s'est souvent attardé sur les lieux qu'il a parcourus en tant qu'exilé ou comme simple touriste, nous livrant de nombreuses et précieuses descriptions des endroits qu'il traversait et de ceux où il s'arrêtait. Ses points de vue amusés ou ses prises de position parfois bien tranchées sur des gens ou des situations ne manquent pas d'intérêt. Les étapes sont parfois longues et quand il ne lit pas ou n'écrit pas dans la voiture, qu'il ne dort pas, ne somnole pas, ne converse pas avec d'autres occupants du véhicule, il observe et s'amuse. Quand il fait étape dans les auberges, ses commentaires sur le gîte et le couvert sont parfois féroces.
C'est au cours d'un voyage entrepris à la fin de l'été 1839 en compagnie de sa maîtresse Juliette Drouet et de son fils, que Victor Hugo aborde la Provence. Après avoir visité Marseille et Aix, il passe par Toulon, il gagne ensuite Draguignan, Fréjus, Antibes, Cannes, Nice. Il repart à Aix, puis Avignon, d'où un bateau à vapeur le mène ensuite jusqu'à Lyon.
Voici quelques-unes de ses impressions : "Vers Antibes et Nice, l'olivier est un arbre magnifique. Là on l'abandonne à lui-même, il pousse en haute futaie. Il a un tronc énorme, Un branchage bizarre et irrité, Un feuillage fin et soyeux qui, à distance, vue en touffe, ressemble à une fourrure de chinchilla. Il se pose dramatiquement sur la hanche comme le châtaignier, porte ses rameaux et ses fruits à bras tendus, et offre comme le cèdre et le chêne, ce mélange de grâce et de majesté propre à tous les arbres qui ont le tronc large et la feuille petite"... Dans les gorges d'Ollioules, il note : "L'oeil n'y voit plus rien qu'une roche jaune, abrupte, déchirée, verticale, à droite, à gauche, devant, derrière, barrant le passage, obstruant le retour, pavant la route et masquant le ciel. On est dans les entrailles d’une montagne, ouvertes comme d'un coup de hache, et brûlées d'un soleil de plomb. À mesure qu'on avance, toute végétation disparaît. Des bouches des cavernes, la plupart inaccessibles, sont béantes à toutes les hauteurs et de tous les côtés. On y distingue des entablements, des consoles, des impostes, toute une architecture naturelle et mystérieuse. Sur les crêtes même de la montagne, çà et là, des roches se courbent en arches et font des ponts aériens pour des passants impossibles (Cf Choses vues)... "J'étais dans un champs de bataille où, il y a vingt siècles, Marius extermina la formidable cohue des Teutons et des Cimbres (Nota : ce lieu est à Pourrières). C'est une immense plaine sereine et tranquille, cultivée avec soin, plantée de vignes, d'oliviers et de mûriers, coupée ça et là de cours d'eau qui se dessèchent en été.... Un paysan en blouse bleue poussait dans le champ voisin sa charrue attelée d'un âne. Une fillette juchée sur un mulet muselé cheminait du côté d'Aix, son tricot à la main. Du côté apposé, une vieille charrette chargée de futailles et menée par un enfant traversait un pont en cahotant...
A Brignoles, on faisait les vendanges. Une foule bruyante, où il y avait autant de gaieté que de travail, fourmillait dans la place autour du gros arbre et de la charmante fontaine que l'architecte avait laissée nue et triste et que la nature a couverte de feuilles et de fleurs. Jusqu'au Luc, la campagne était en fête. De gros tas de raisins noirs et blancs s'amoncelaient au bord de la route. J'entendais des chants dans les treilles. Au Luc, il faisait nuit noire. Une diligence qui passait sans lanterne s'est heurtée violemment à un pressoir qui barrait la route et a failli verser. Le postillon avait une fureur provençale qu'il expectorait en jurons prodigieux. - Canaille de bon Dieu ! Brignand de bon Dieu ! - Je n'avais jamais vu assaisonner le bon Dieu de cette façon... Le conseil municipal de Draguignan mériterait d'être le conseil municipal de Paris. En matière d'art et d'histoire, il est inepte. Il profite de son éloignement et de son obscurité pour démolir les vieilles murailles de la ville. La seule chose illustre et monumentale qu'eût Draguignan ! Malgré la nuit très sombre et très épaisse, j'ai distingué une très belle porte forteresse en entrant dans la ville. Avant peu, elle aura disparu....
D'Avignon à Fréjus, on aperçoit de loin, au-dessus de toutes les villes et de tous les villages, une tour qui porte qur sa plate-forme une grande cage de fer artistiquement treillagée dans laquelle on distingue une espèce d'oiseau de mer. On approche. C'est la cloche dans son clocher... Avant d'entrer dans Fréjus, j'ai aperçu au milieu des terres une espèce de tourelle de pierre à couronnement conique. C'est l'ancien phare romain qui marquait l'entrée du port et la pointe du môle. L'écume le battait autrefois ; les oliviers l'ombragent aujourd'hui. ... Je me suis avancé sous la voûte, et au bout de quelques pas, j'entrai dans une vaste enceinte circulaire qu'entoure de toutes parts un entassement magnifique de gradins défoncés, d'arcades rompues, de vomitoires comblés. Ce sont les arènes de Fréjus. Fréjus était un port au temps de César. Aujourd'hui, quelques maisons rehaussées de deux ou trois grosses tours de couleur sombre et dominées par un rocher pointu, voilà Fréjus : la mer est à une demi-lieue. La plaine est ravissante tant elle est verte et ombragée.
Source : D'après Mémoires du Var - Michel Margueritte.
Monument dit "Lanterne d'Auguste" à Fréjus. Ce n'était pas un phare malgré son appelation mais un amer (un point de repère fixe et identifiable sans ambiguïté utilisé pour la navigation maritime).