La promenade des Anglais
A partir du milieu du XVIIIe siècle, Nice est fréquentée comme station d’hiver par de riches Anglais. Ils s'installent dans des maisons situées le long de la route de France, entre le quartier Magnan et celui du Paillon, ou encore dans le quartier de la Buffa familièrement baptisé par la colonie anglaise "Newborough". Cependant, les britanniques se plaignent de ne pas disposer d’une promenade le long du bord de mer. En 1822, la misère est grande à cause des intempéries et des mauvaises récoltes qu'elles ont engendrées et le pasteur Lewis Way lance une souscription auprès de ses compatriotes afin de secourir les habitants sans travail en leur faisant niveler une chaussée de deux mètres de large, du Paillon à l’actuelle rue Meyerbeer.
En 1824, les travaux sont achevés. La population désigne la nouvelle chaussée du nom de "camin dei Inglés" ou "chemin des Anglais". En 1837, les terrains sablonneux octroyés à la ville en 1513 par le duc de Savoie, Charles III, sont divisés en trente-trois lots et vendus à des particuliers. En 1844, le Conseil communal donne à la nouvelle voie le nom officiel de "Promenade des Anglais", il la fait prolonger jusqu’aux Baumettes et ordonne la plantation d’arbres et d’arbustes à fleurs. En 1856, la Promenade arrive au quartier Magnan. Elle a huit mètres de largeur mais pas de trottoirs et elle est si poussiéreuse que l'écrivain Alphonse Karr écrira : "Au bord d’une Méditerranée d’eau, on se promène dans un océan de poussière". La nouvelle voie va se border peu à peu de villas et d’hôtels. Les premiers bâtiments sont, dès la fin du XVIIIe siècle, des villas imposantes au milieu de vastes jardins dont seules deux villas vont subsister. La villa Furtado-Heine dite des "Officiers" a été construite en 1787, par une Anglaise, Lady Penelope Rivers (à l'endroit actuel du Centre universitaire méditerranéen). Durant l’Empire elle a accueilli Pauline Bonaparte, soeur de Napoléon et Marie-Louise, ancienne reine d’Etrurie. En 1895, Madame Furtado-Heine l’a offerte à l’armée française pour recevoir les soldats convalescents. L’autre villa encore existante a été élevée par sa fille et son gendre, le prince d’Essling. C’est la villa Masséna, dernière grande villa construite sur la Promenade en 1900. Parmi les autres villas aujourd’hui détruites, citons la villa Orestis, construite en 1845, qui accueillit l’impératrice douairière Alexandra Feodorovna. Le prince Stirbey y mourut en 1869 devant le parterre de milliers de pensées qu'il avait fait planter par son jardinier. La reine Isabelle d’Espagne y séjourna en 1882, juste avant qu'elle ne soit détruite pour ouvrir le boulevard Gambetta. A l’angle de l’actuelle rue Andrioli, s'élevait la villa Avigdor, construite en 1786, le long de la route de France. Le roi Louis Ier de Bavière habita dans la villa Lions jusqu'à son mort en 1868. Au milieu du XIXe siècle, les premiers grands hôtels sortent de terre. L’Hôtel de Rome devenu l’Hôtel West End (1842), l’Hôtel du Luxembourg (1865), l'Hôtel des Anglais (1862) au numéro 1 de la Promenade (emplacement actuel du Méridien) avec sa façade néo classique, ses quatre étages de balcons à arcades, ses ascenseurs hydrauliques, son chauffage à air pulsé, le luxe de ses cabines de toilettes ! En 1863, on élargit la route de deux mètres, on augmente la Promenade d’une chaussée de douze mètres et d’un trottoir de trois mètres. Trente becs de gaz l’éclairent. En 1864, un pont, baptisé le pont Napoléon puis le pont des Anges, est jeté sur l’embouchure du Paillon et relie la vieille ville à la Promenade. Celle-ci devient le centre de la vie mondaine. L’hiver, temps privilégié alors de la Saison, en fin de matinée ou l’après-midi, c’est un incessant va-et-vient de cavaliers, de landaus, de coupés, de victorias. On se promène, ombrelle à la main, entre les haies de lauriers roses. En 1867, on y inaugure le premier casino de Nice, le magnifique Cercle de la Méditerranée, le plus élégant de la ville, avec sa double rampe d'accès pour les calèches et landaus. On construit ensuite à son emplacement l’hôtel Savoy (remplacé à son tour en 1951 par l’immeuble Savoy-Palace actuel). Entre-temps, en 1878, la Promenade des Anglais atteint le quartier de Sainte-Hélène. En 1882, elle gagne Carras. Les parieurs et les élégantes peuvent alors rejoindre l'hippodrome (situé à l'emplacement actuel de l'aéroport).
En 1862, l’Hôtel Westminster prend la place de deux villas. La famille royale anglaise donnant l'autorisation d'utiliser son nom. Le plus emblématique casino de la Belle-Époque est le Casino de la Jetée-Promenade. Construit sur la mer, avec ses coupoles mauresques, ses passerelles au-dessus de l'eau, ses terrasses, ses verrières et sa clientèle d'aristocrates du monde entier. Le bâtiment fut incendié en 1883, la veille de son inauguration et reconstruit en 1891. Les dîners, les bals, les opérettes, les fêtes s'y déroulaient à n'en plus finir. "Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, le demi-monde à ceux qui se couchent tard", disait Willy, le caustique mari de l'écrivain Colette, qui fréquentait le lieu. Le Casino de la Jetée sera détruit pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1906, la promenade des Anglais atteint l’hippodrome sur les bords du Var. C’est le temps des palaces avec la construction de l’Hôtel Royal (1905), de l’Hôtel Ruhl (1913), de l’Hôtel Negresco (1912). C'est un fils d'aubergiste tzigane venu de Roumanie, ayant fait fortune dans la restauration à Monaco, qui francisa son nom en Negresco et qui fit construire le plus beau palace de la Promenade. Son inauguration réunit pas moins de sept têtes couronnées sous la verrière de Gustave Eiffel et le lustre monumental. Le tapis avait coûté 300 000 francs de l'époque !
Après le Première Guerre mondiale, la Promenade des Anglais retrouve son animation élégante. Dès les années 20, avec ses nouveaux loisirs balnéaires et ses sports nautiques, la saison d’été se substitue peu à peu à la saison d’hiver et le milliardaire américain Franck Jay Gould finance un nouveau casino : le Palais de la Méditerranée qui est considéré comme l’un des chefs d’oeuvre du style Art-Déco. Il ouvre ses portes le 10 janvier 1929. Il est inauguré par Charlie Chaplin. Gould désirait que son escalier monumental mette en évidence les robes de soirée de son épouse. Le nouveau maire de Nice, Jean Médecin décide alors de donner une nouvelle ampleur à la Promenade. En 1931-1932, la voie réservée aux voitures est doublée (dix mètres chacune), une plate-bande de cinq mètres les sépare, un nouveau mobilier urbain est créé et installé (fontaines lumineuses, candélabres). Le trottoir longeant les hôtels et les villas a trois mètres de large et celui qui domine la plage est porté à seize mètres. Les nouveaux aménagements sont inaugurés le 29 janvier 1931 par le prince de Connaught, frère du roi George V et la duchesse de Vendôme, soeur du roi des Belges. De nombreuses villas commencent à être détruites pour se voir remplacées par des immeubles de rapport souvent d’une incontestable qualité architecturale où s’impose un style Art-Déco séduisant sous la signature des architectes Dikansky, Sorg ou Guillot : La Couronne (1927), La Mascotte (1930), Le Forum (1932), Solemar (1934), le Palais Mecatti (1937), mouvement qui se poursuivra et s’intensifiera après 1945 avec Les Loggias (1947), Le Capitole (1948-1959) ou le Palais d’Orient (1960). La destruction de la Jetée-Promenade, en 1944, celle du Ruhl en 1979 atténuent l’originalité de cet espace, cependant, la Promenade des Anglais garde le caractère emblématique de Nice qu’elle a acquit au début du XXe siècle. Mais qui se souvient alors, d'un révérend nommé Way qui au début du XIXe siècle, avait simplement rêvé d'un bout de chemin pour se promener le long du rivage ?
Sources : D'après le site de la ville de Nice et un article du supplément du journal Var matin paru le 4 mars 2012.