La population varoise en 1840
Lou gousta, le déjeuner des paysans - Alphonse Moutte
Sous les rapports physiques, les Provençaux forment la nuance et le passage entre les peuples du Nord et du Midi de l'Europe. Ils ont en général, les cheveux châtains, quelquefois noirs, rarement blonds, la peau brune, le regard vif et pénétrant, la physionomie spirituelle mais passionnée. [...].
Ce qu'on est convenu d'appeler le peuple forme quatre classes bien distinctes. La première est celles des ménagers, composée de propriétaires vivant du produit de leurs champs, qu'ils cultivent eux-mêmes. Leur instruction se réduit à savoir un peu lire, écrire et chiffrer. Dépositaires de la pratique de l'agriculture, des adages et des traditions qui y sont relatifs, il exercent leur art avec ordre et intelligence. Le travail est pour eux une habitude. L'aisance et quelquefois la richesse en sont la récompense. Ils se nourrissent de légumes frais ou secs qu'ils récoltent dans leurs terres ou des herbages de leur petit potager. Une ou deux fois par semaine, ils font usage de la viande mais quand ils sont malades, ils ne se refusent aucun soin.
La fenaison - Alphonse Moutte
La seconde classe est celle des paysans, beaucoup plus nombreux que la première, et présentant des nuances infinies. Tous louent leurs oeuvres pendant une partie plus ou moins considérable de l'année. Les ressources toujours incertaines, varient avec le produit des terres et le prix du travail. Aussi son caractère se ressent-il de la mobilité de sa situation : insolent dans l'aisance, il est humble et soumis dans la pauvreté. On remarque en général que plus les terres d'une contrée sont ingrates, plus les paysans y sont laborieux. L'on est souvent étonné, et du courage avec lequel ils entreprennent des plantations dans les champs pierreux et stériles, et du succès prodigieux qui couronne leurs entreprises. Dans les contrées fertiles au contraire, le paysan se reposant sur le prix excessif de ses journées, vit sans prévoyance pour l'avenir et expire aux premières infirmités, en proie à tous les genres de besoins. Leur nourriture est très sobre dans leurs ménages : la soupe le soir et le matin, et du pain à l'heure de midi, quelquefois avec une demie bouteille de vin. Les saisons les plus favorables pour eux sont celles de la récolte des fèves en cosse, des pommes de terre, des figues et des raisins. Mais si par le genre d'ouvrage qu'on les emploie, on est obligé de les nourrir, ils se montrent plus difficiles et demandent des mets recherchés et un vin de première qualité. Il leur suffit d'en avoir à foison et d'en disposer à discrétion. Le plaisir le plus agréable du paysan, celui qui lui sert de délassement des pénibles travaux de la semaine, est de passer les jours de fête dans un cabaret ou dans une chambrée avec ses camarades pour y boire, manger et chanter de toutes ses forces jusqu'à ce que le sommeil l'invite à aller goûter un repos nécessaire à cause du travail du lendemain.
La troisième classe est formée des paysans des montagnes septentrionales du département. La rigueur du climat n'y permettant qu'une culture, celle des grains, des familles entières de cultivateurs, hommes, femmes, enfants, en descendent dans la partie tempérée pour y obtenir du travail. Le montagnard sait communément lire, écrire, filer, tricoter. Ses formes sont peu agréables, ses mouvements lourds, son travail lent, peu soigné, aussi le prix de ses journées n'est guère que de deux tiers de celui qu'on donne aux paysans méridionaux.
La quatrième classe, composée des artisans, se rapproche par l'instruction, du premier ordre des citoyens. Presque tous propriétaires, et joignant le produit de leur industrie à celui de leurs champs, ils s'emploient à pousser leurs enfants dans la carrière qui leur paraît la plus avantageuse. Ceux qui ne savent point profiter de l'éducation qu'on leur donne et c'est le plus grand nombre, aident leur père et héritent de leur pratique. Celui au contraire qui a le bonheur de faire de bonnes études, sa naissance ne le rendant ni fier, ni timide, perce dans les emplois et ne manque jamais de parvenir. Cependant, il en est qui par attachement à leur famille et à leur pays, préfèrent exercer la même profession que leur père et l'instruction qu'ils ont aide à perfectionner leur métier et le rendre aussi lucratif qu'un bon emploi [...].
Le climat du département du Var est peu favorable à la vieillesse de l'homme. Les brusques et nombreuses variations qui caractérisent notre température, suppriment facilement chez les vieillards les transpirations pulmonaires et cutanées et ces affections sont mortelles, parce qu'elles trouvent la vie déjà usée par une atmosphère desséchante, par l'impétuosité de la passion, par la vivacité de la parole, et le ton bruyant, habituel et général en toutes les choses, enfin par le régime diététique qui est habituellement chaud et excitant. Il est cependant quelques communes où l'on vieillit davantage que dans la généralité, nous citerons principalement celles de Signes, de Lorgues, de Trans et quelques-unes dans la partie avantageuse sous les climats les plus purs et les plus sains.
Source : Extrait de "Description et statistiques du département du Var" Etienne Garcin 1840