Dragons et gnomes des légendes
Dragon à Draguignan
Il était une fois, un champ de nénuphars aux fleurs blanches, lumières des eaux du marais. Un peuple vivait en cet endroit : de fiers Ligures. Pêche, culture, chasse, occupaient leurs journées. Mais ils avaient un lourd secret, ils étaient les gardiens du Drac, le monstre à tête humaine, cerbère des enfers. La bête prospérait, se nourrissait au printemps et au début de l'été, d'herbe du diable, le nénuphar maléfique capable de jeter des sortilèges et d'endormir les hommes, de détruire leur virilité. S'ils manquaient à leur devoir de protection, s'ils n'écartaient les dangers, le Drac rendait les guerriers impuissants. Un jour les Romains arrivèrent. Les Ligures, vaincus malgré leur courage n'acceptèrent pas le confort de la civilisation. : c'était disparaître sans descendance s'ils abandonnaient le Drac. Ils installèrent sur le Malmont un nouveau village, peu éloigné des eaux. A Griminum, la vie était dure : ils étaient ceux du Mont Maudit, accrochés à la roche stérile et froide, on se moquait d'eux, mais ils ne devaient rien avouer à cause de la menace du Drac. Pendant cinq siècles, ils supportèrent tout. Eux qui n'avaient plus de joie, voyaient en bas, dans l'agglomération construite par Rome, les réjouissances des fêtes. Quand le printemps s'échauffe déjà et que les premières fleurs de nénuphars vont poindre pour marquer leur asservissement, les Ligures assistent de loin à une procession. L'un d'eux, plus hardi, plus las de son esclavage, descend et rencontre un homme de grand âge : sur une tunique ample de toile blanche ornée d'un parement brodé au bas, il porte une bande de laine immaculée marquée de croix pourpres tout au long. Le guerrier ligure devine, à cette vêture à la fois simple et digne, l'importance du personnage. Il se prosterne et implore son aide pour les siens. Sans un mot, Hermentaire, évêque d'Antibes, venu pour accomplir la volonté de Dieu, relève le Ligure et le suit vers les marais. Il y voit le Drac furieux qui se précipite pour le dévorer. Hermentaire étend les bras, immobile, il prie, agenouillé. La bête hésite. Hermentaire s'avance, encore quelques pas et les Drac disparaît à jamais : saint Hermentaire en a délivré Draguignan. Alors, en foule, les Ligures rejoignent les cortège de la Pentecôte pour se convertir au Dieu des chrétiens, à ce Christ plus fort que la mort, capable de résurrection, d'assurer la vie.
Saint Hermentaire
A travers Drac, marais, gouffres, c'est la voix antique de la terre qui gronde, celle des vieilles peurs. A Bras, on parle d'un étang ensorcelé. Pour punir les mécréants du village, Dieu les abandonna : le sol s'ouvrit et engloutit les maisons. Depuis, le jour de la Sainte-Madeleine, le 22 juillet, on entend les plaintes des victimes. Ce lieu choisit par Dieu pour manifester sa colère aux hommes s'illustra à nouveau le 1er novembre 1754 : ce matin, les eaux du lac dans lequel furent noyés les mauvais chrétiens de la région, devinrent rouges de sang. Au même moment, la terre tremblait à Lisbonne. Pour apaiser ces âmes tourmentées, proies du Diable, pour rappeler à Satan que Bras fait bien partie de la chrétienté, on fait une procession et le prêtre exorcise les étangs à la Saint-Marc, sans quoi il en jaillirait les flammes de l'enfer. Des esprits sérieux expliqueront l'aventure du Drac et d'Hermentaire par la lutte entre christianisme et paganisme, entre barbarie et civilisation. Celles des gours de Bras par l'évolution géologique en terrain calcaire où peu à peu des cavités se forment par dissolution. Mais que dire des gnomides de Comps ? Contre la paroi de l'un des ravins qui strient les Plans, au milieu du chaos rocheux, s'ouvre une grotte : jadis elle fut fermée par une grille aujourd'hui rouillée.
C'est le soir de Pentecôte qu'il faut y aller écouter l'appel des gnomides, ces femmes d'une beauté extraordinaire au buste souple. A la nuit, elles remontent des profondeurs de la terre offrir au passant les trésors d'émeuraude qu'elles ont en garde. Sont-elles lasses de leurs compagnons, les gnomes si petits, si hideux ? S'agit-il d'une des entrées du domaine de la mort ? Ou bien celle d'un réseau souterrain ? Et à Fontaine-l'Evêque ? Ici point de fée, de diable ou de lutin, mais un conte galant. Devant la source, dans les eaux claires, une lavandière blanchit son linge et ignore les moutons qui boivent à proximité. Elle frappe chemises et draps de son battoir et rougit à l'idée du berger caché qui la regarde et l'admire. Enfin, il se découvre, se déclare et promet de réaliser, par amour, l'impossible : envoyer depuis le Plan de Canjuers une agnelle. Il lui suffira de l'attendre. La jeune fille regarde falaises et montagnes : nul bétail ne saurait venir seul mais elle accepte ce gage. Tous les après-midi de l'été, ouvrage achevé, la voilà installée au bord de la fontaine pour espérer, les jours s'égrenent sans que rien ne se produise. Perdue dans sa mélancolie, elle voit tout à coup passer une houlette qu'elle saisit puis un chapeau qu'elle ramène au bord et l'agnelle promise bêlant de peur : le pâtre s'est engagé, ils sont fiancés. Elle le voudrait à son côté tant sa passion est forte. Elle sèche la bête et soupire après les semaines d'attente qui restent avant le retour des troupeaux. Mais une main se tend hors de l'eau, malgré sa peur, elle l'attrape, c'est le berger. Il raconte que si impatient de la retrouver, connaissant le chemin secret des orages qui alimentent la source de Fontaine l'Evêque à travers la roche, il s'y est jeté, lui et son cadeau, depuis le gros aven, le gouffre de Canjuers. Si elle le veut il recommencera. Plus tard, l'EDF vérifiera la véracité de la légende de Sorps : la fluorescéine versée en haut ressortira en bas. Les techniciens parleront d'une circulation sous pression, de résurgence vauclusienne, de siphons impossibles à franchir. Ils ne savaient pas que l'amour peut tout vaincre. Aujourd'hui, tout est sous le eaux du lac d'Aiguines avec les villages engloutis.
Source : Le Var des collines - Edisud - 1989.
Nota de Nadine : Lorsque les techniciens d'EDF ont versé de la fluorescéine dans les eaux de Fontaine l'Evêque, Madame Edith Gilmer, une dame qui habitait au quartier du Peical à Trans-en-Provence, a tiré un jour de son puits de l'eau colorée. Cette eau fut analysée : c'était bien le colorant qui avait été versé auparavant à Fontaine l'Evêque. Combien de temps a-t-il fallu à cette eau pour parvenir jusqu'à ce puits sur la colline ? Je ne le sais pas. Tout ce que je peux dire c'est que sous terre, l'eau trouve toujours son chemin.
Source de Fontaine l'Evêque (carte postale)