La légende de la sirène de Salernes
Sur la légende de la sirène de Salernes, nul chercheur n'a encore livré le fruit de ses travaux. De ce que fut l'histoire vraie de cette sirène, on ne connaît pas grand chose. En revanche, on sait qu'aucune légende ne peut prendre corps si elle n'est pas issue d'un fait réel ou d'une idée partagée par le plus grand nombre à une époque donnée. De quoi est née "l'affaire Ermentrude" ? (ainsi s'appelait la sirène). Qu'enseigne-t-elle à travers la légende venue du fond des siècles ? C'est encore un mystère à décypter. Pourtant, un historien nous met sur la voie. Et que n'est pas n'importe qui ! Rien moins qu'Hérodote en personne. Il rapporte que le peuple des Scythes se donnait pour mère originelle non pas Eve mais une femme... qui se terminait en queue de poisson.
Une sirène.
Or les Romains avaient sédantarisé sur le futur territoire de Salernes une tribu de ces nomades venus des confins de l'Europe nord-orientale et de l'Asie.
Quelques siècles plus tard, l'épouse du chef de cette colonie "salernoise" donna effectivement le jour à une petite fille adorable qui, toutefois finissait en queue de poisson, comme la mère lointaine de tous les Scythes. Diable ! Comment délivrer de cet héritage encombrant la malheureuse petite Ermentrude ? Fort heureusement se trouvait dans la parentèle une bonne fée capable, au moins, de limiter les dégâts. Après de rudes négociations avec les représentants du surnaturel, elle put obtenir que l'enfant ne soit sirène qu'une fois par semaine, le lundi. Durant les six autres jours, elle marcha bientôt sur deux jambes. Le secret ne sortit jamais de la famille et Ermentrude ne sortit plus jamais le lundi.
Ainsi, les populations d'alentour purent s'émerveiller de la voir sans cesse grandir en beauté, en grâce, en sagesse. A seize ans, elle était éclatante. Ce qui devait arriver arriva. Des foules de prétendants, tous plus nobles les uns que les autres, se présentèrent. Parmi eux, le jeune comte Arnulphe de Sallis-Terre, tomba follement amoureux d'Ermentrude. Et réciproquement.
Tout de suite, on parla mariage. Hélas, pour que cette union soit heureuse sept jours sur sept, il y avait un os, ou plutôt, une arête. La jeune belle préféra cacher à son futur époux que sa conformation du lundi lui interdisait une fois par semaine de satisfaire au devoir conjugal. Elle affecta donc un caprice de jolie femme pour imposer des conditions draconiennes. Si Arnulphe voulait vraiment l'épouser, il fallait qu'il lui fasse construire un vaste bassin couvert et hermétique à l'intérieur du château comtal, où elle pourrait se retirer seule, toute seule, une fois par semaine, disons, le lundi.
Il fallait égalemement qu'il lui jure de ne jamais pénétrer dans le bassin, ni même oser y jeter un regard. Et Arnulphe jura. Le bassin fut construit en utilisant, détail important, la bouche ouverte d'un aven. Le mariage, fut célébré en grande pompe, et ce fut dès lors une lune de miel perpétuelle... sauf le lundi, jour de la lune et de la métamorphose.
Mais comment se priver de sa belle, ne serait-ce qu'un jour, quand on est amoureux fou ? Arnulphe n'en pouvait plus. Rompant son serment, il pénétra dans le bassin interdit et resta médusé en découvrant, s'ébattant dans l'eau claire, sa légitime épouse muée en monstre, certes grâcieux, mais monstre néanmoins. Tout s'écroula d'un coup. Et ce n'est pas façon de parler : le bassin s'effrondra, précipitant la malheureuse Ermentrude au fond de l'aven avec l'eau du bain. Désespéré, le jeune comte plongea dans le gouffre et disparut à son tour, emporté par la rivière souterraine.
A cette fin tragique, la légende a donné une suite. Des siècles durant, le fantôme volant d'une sirène gémissante hanta le château abandonné de Sallis-Terre sans descendance. Elle serrait dans ses bras le fantôme de son comte. A la longue, le château en ruines s'écroula et disparut lui aussi dans l'aven, toutes traces effacées par le temps. Si bien qu'on n'a jamais pu en retrouver le moindre fragment en fouillant les environs de Salernes.
"Cherchez et vous trouverez" est-il dit dans les textes sacrés. Place, donc aux chercheurs ! Il serait certes intéressant de retrouver d'abord un petit reste du château ou pour le moins la bouche de l'aven. Mais une éventualité n'est pas à exclure : les décombres de l'imposante bâtisse peuvent bien avoir comblé ou obturé l'aven. Ainsi se seraient-ils effacés l'un par l'autre, disparaissant ensemble, comme Ermentrude et Arnulphe...
Source : D'après Histoire et petites histoires du Var - Jean Rambaud - Editions Campanile - 1996.