Blanc, noir et gris
Blanc et noir, ombre et lumière, accompli et inaccompli semblent indissociables. Blanc et noir ne sont pas des couleurs, mais des éclairages différents. Le noir c'est la nuit, c'est l'ombre, c'est-à-dire le moment où les couleurs semblent absentes de toutes choses. Mais il suffira que le soleil se lève pour les révéler à nouveau. Aussi bien le noir en Provence n'est-t-il jamais vraiment noir. Il peut être bleu de Prusse comme la robe noire de l'Arlésienne de Van Gogh, violet intense comme les grains de raisin sur la treille, brun comme la robe des taureaux de Camargue ou du nougat de miel et d'amandes, comme les fonds de tissu "ramoneur" teint à la noix de galle et comme la truffe qui mûrit en secret sous la terre. Le blanc, lui, n'est que lumière céleste. La moindre altération le trouble, le dénature. La moindre tache le flétrit. Si les mariées de chez nous portaient une robe verte ou fleurie, elles la retroussaient pourtant afin que l'on voie leur merveilleux jupon de boutis blanc brodé de coeurs, de pigeons, de temples et de paradis, tout comme la courtepointe de leur lit de noce. Et de même que deux fois l'an on faisait la bugado, de même passait-on tous les murs à la chaux, rite purificateur qui éliminait la vermine, mais qui surtout revêtait la maison pour un temps d'une blancheur impeccable. Blanc, c'est aussi la couleur du sel que l'on extrayait dans les nombreuses salines qui ponctuaient la côte méditerranéenne. Blanc, c'est enfin la couleur de toute la Provence lorsqu'en août elle se noie dans la lumière du soleil de midi et que Jean Giono parle de "plâtre bouillant".
Quant au gris, c'est essentiellement la couleur du temps qui passe. Les cheveux des vieilles, les murs de pierre, les volets des mas, tout devient gris avec le temps. C'est aussi la couleur de la colline, la couleur des thyms et des santolines, la couleur des champs de lavande quand ils ne sont pas bleus, c'est-à-dire, onze mois sur douze, la couleur du ciel quand le mistral ne souffle pas. A y bien penser, et tant pis pour le paradoxe, la Provence est baignée le plus souvent dans un camaieu de gris, noyé dans une pâle lumière d'argent. Autrefois, tous les murs de toutes les maisons étaient crépis dans les couleurs naturelles des sables locaux et tous les volets, ceux des maisons de village comme ceux des mas ou ceux des bastides, étaient peints dans une infinie variété de gris qui jouaient délicatement avec le gris du ciel et la douce palette argentée des paysages environnants. Ce qui faisait que lorsque la couleur surgissait, charette bleue chargée de ballots de paille, devanture de droguiste ou encore étal de fruits et de légumes au marché du samedi matin, elle explosait, souveraine, dans la lumière du soleil provençal.
Sources : D'après "Couleurs de Provence" Michel Biehn, Editions Flammarion. Photos de Pascal Lando, site "Images en Vaucluse".