Le mas
La maison rurale que l'on qualifie de "mas" était une petite unité symbole de l'économie fermée. Chaque maison était différente et traduisait le caractère individualiste du paysan qui personnalisait toujours sa demeure. Elle témoignait d'un pragmatisme et d'une ingéniosité qu'on ne rencontre plus aujourd'hui. L'homme ne cherchait pas à dominer la nature environnante mais essayait de composer avec elle en tirant partie de ce qu'elle pouvait lui offrir. Le mas ressemblait à une construction ayant la forme d'un parallélépipède qui évoluait en fonction de l'augmentation de la famille installée en ses murs. Cette maison offrait une tendance à l'étalement avec une prédominance pour le plan en longueur à l'inverse des maisons de hameau qui tendaient davantage vers la maison "bloc". En général, la construction comprenait un ou deux niveaux, plus rarement trois étages, selon un plan toujours rectangulaire. A l'origine, le paysan construisait modestement, se réservant par la suite la possibilité d'agrandir son mas. L'architecture était donc à la fois fonctionnelle et évolutive. La maison rurale semblait surgie du sol comme en témoignent de nos jours encore les murs de pierre et les toits couverts de tuiles canal aux couleurs patinées par le soleil. Cette profonde impression de symbiose parfaite avec le paysage alentour se ressent dès que l'on observe un mas avec attention.
Devant une telle harmonie, nul ne peut rester indifférent. Un bâtiment sommaire était d'abord édifié et par la suite d'autres extensions venaient s'ajouter. "A l'époque les jeunes restaient sur l'exploitation vivaient avec les parents, prenaient leur suite, il fallait agrandir, créer de nouvelles pièces..." Les volumes s'accumulaient ainsi au fil des années avec une ordonnance parfaite. Il n'est pas rare d'inventorier trois à quatre agrandissements successifs. Le mas comprenait deux niveaux, le but étant de trouver de la place en hauteur sans développer la surface de la toiture qui présentait deux pentes. Le rôle des artisans maçons en Provence fut toujours important et la maison se construisait sous leur direction. Ceux-ci creusaient les fondations, montaient les murs, posaient les poutres pour la toiture. La famille apportait les matériaux bruts, les pierres, la terre pour les liants, le bois pour les poutraisons et les huisseries. Pour le paysan, le besoin de se protéger était omniprésent. Sa maison devait avant tout remplir cette fonction. Connaissant parfaitement les contraintes du climat et la rigueur des éléments, il était d'un naturel méfiant et se protégeait à la fois de la canicule, du vent et de la pluie. A l'inverse du touriste qui déjeune en plein soleil, le paysan, en bon méridional prenait ses repas à l'intérieur de sa demeure, à l'abri des épaisses persiennes entrebâillées qu'il ouvrait seulement le soir pour laisser entrer l'air frais. Au sud, se situait la façade principale, le plus souvent sur un mur gouttereau, plus rarement sur un pignon, bien exposée, percée d'ouvertures sans véritable souci de symétrie. La porte d'entrée, les fenêtres, la porte de l'écurie, de la remise ou des dépendances s'ouvraient toujours au midi, afin qu'elles soient baignées par les rayons du soleil une grande partie de la journée. L'extérieur se développait aussi à partir de cette façade, avec la terrasse, de grands arbres aux feuilles caduques, souvent des platanes qui protégeaient du soleil durant l'été, laissant passer les rayons l'hiver, une treille où le paysan aimait se reposer, des bassins qui servaient à la fois d'abreuvoirs et de citernes. Redoutant la violence du mistral, l'agriculteur voulait s'abriter de ce vent violent également à l'intérieur de son habitation et aux environs. Aussi, les façades nord et ouest recevant de plein fouet les assauts des rafales ne comportaient-elles aucune ouverture ou seulement de toutes petites fenêtres. Contre le mur nord souvent aveugle, véritable rempart protégeant des éléments, s'adossaient parfois quelques constructions utilitaires telles qu'abris et autres appentis. Le vent d'est apportant les précipitations, la façade orientée vers cette direction appelée aussi communément "mur de la pluie" ne présentait que de petites baies selon l'utilité. En général, se méfiant des infiltrations toujours possibles, les hommes ne prévoyaient là encore aucune fenêtre sur le mur oriental.
A l'intérieur, le rez-de-chaussée se partageait d'un côté en locaux d'exploitations telles que petites écuries, caves, remises à légumes ou à fleurs, et de l'autre en une pièce habitable constituée souvent par une salle unique, la cuisine. C'était en ce lieu que la famille se réunissait au retour des champs : on y mangeait et le soir devant la cheminée, souvent le seul foyer existant dans toute la maison, les femmes cousaient, filaient et les hommes racontaient des histoires, rapportaient des anecdotes qu'ils avaient entendues au cours de leur journée de travail. C'étaient les veillées que l'ère de la télévision rendit par la suite obsolètes. Les chambres occupaient l'étage supérieur et étaient en général de dimensions étroites, comprenant rarement une cheminée. Les surfaces les plus importantes étaient inexorablement réservées aux animaux et aux remises. L'écurie abritait le cheval, le mulet, les chèvres, les moutons et moins fréquemment le boeuf. Parfois, près du bâtiment principal se trouvait un pigeonnier. Dans la remise étaient rangées les charrettes et les charrues, tandis que sous la toiture se trouvait le grenier, parfois "grenier-séchoir" où l'on étendait les fruits pour qu'ils sèchent sans s'abîmer. Pour des raisons pratiques le foin et la paille étaient toujours stockés au-dessus de l'écurie. La tradition voulait que le paysan commençant l'édification de sa maison plante des cyprès. Plus tard, lorsque son enfant se trouvait en âge de se marier, il utilisait le tronc de l'un de ces conifères pour construire le faîtage de la toiture de l'extension. Souvent, sur le toit du côté du pignon était scellée une croix de fer forgé, témoignage de la piété et de la ferveur religieuse des homme d'autrefois qui bâtissant leur demeure au milieu des champs, loin de la cité et de ses remparts, recherchaient toujours la protection divine.
Source : D'après "L'habitat rural à Grasse" - Corinne Julien-Bottoni - Ed. Tac Motifs.