Le bagne de Toulon
Origine du bagne
Aujourd'hui, il ne reste plus rien des bâtiments du bagne de Toulon et de son hôpital, construits autrefois sur le quai du Grand Rang qui sépare vieille darse et darse neuve. Touché par les bombardements de 1943-1944, il a été entièrement rasé à la fin de la guerre. Le bagne de Toulon avait la particularité d'être directement issu des galères de Marseille crées en 1660. Ces navires à la ligne de flottaison basse étaient propulsés à la rame par des protestants qui avaient refusé d'abjurer leur foi, des esclaves musulmans et des repris de justice. Dépassées par l'évolution technique des navires à haut pont, elles furent transférées à Toulon en 1748. Les rameurs devinrent bientôt des travailleurs de force du port - les forçats- et les galères, qui ne quittaient plus le quai, firent fonction de bagnes flottants pour y loger les condamnés. La peine des galère fut commuée en peine des fers. Sous la Restauration, il y avait en France métropolitaine dix bagnes. Toulon faisait partie des trois plus grands avec Brest et Rochefort. Au XIXe siècle, à la faveur de la préparation de nombreuses expéditions scientifiques et coloniales, son bagne devient le plus grand de France métropolitaine, comptant entre 3 000 à 4 000 hommes suivant les périodes.
L'arrivée au bagne
Depuis 1820, les condamnés arrivaient à pied depuis Bicêtre ou de prisons plus au sud. Ces hommes intégraient ce que l'on appelait en Provence la chenaïdo, désignant la chaîne à laquelle ils étaient attachés par le cou. Le voyage qui durait environ trente jours, se faisait à pied et par voie fluviale à hauteur du Rhône. On utilisa quelques années plus tard des charrettes, puis des fourgons appelées "chaîne volante", dont les cellules étaient si étroites qu'il fallait porter les condamnés dont les membres étaient ankylosés pour les en sortir. A leur entrée par la porte de Castigneau, on leur retirait leur collier de fer, leurs cheveux étaient coupés de façon asymétrique pour les condamnés à temps et rasés avec des raies pour les condamnés à perpétuité. Vêtus d'un pantalon jaune, d'une chemise blanche et d'une veste rouge, ils étaient coiffés d'un bonnet phrygien, vert pour les perpétuités et rouge pour les condamnés à temps. Les récidivistes portaient une manche jaune. Chaque homme recevait un matricule et, jusqu'à la monarchie de Juillet, ils étaient marqués au fer rouge. L'accueil se terminait par la mise en place d'un anneau à la cheville - la manille - qui pesait 1,5 kg, auquel était fixée une chaîne de 7,2 kg. Les bagnards étaient ensuite attachés par deux pour une durée minimale de quatre ans.
La vie du bagnard
Lorsqu'ils arrivaient au bagne, tous étaient affectés aux travaux de "grande fatigue" : construction de bâtiments, lestage de navires, pompage des bassins, halage à terre des vaisseaux. Au bout de quatre ans, si le condamné avait fait preuve de bonne conduite, il pouvait être détaché de son compagnon d'infortune et affecté aux travaux de "petite fatigue" : infirmerie, écriture, cuisine, jardinage. Certains pouvaient travailler à l'extérieur du bagne. Il y eut ainsi en ville des domestiques-bagnards et même des dentistes-bagnards. La nuit, les condamnés logeaient dans des lieux différents. Les peines de moins de cinq ans dormaient sur des navires désarmés, les bagnes flottants, à même le sol, leur chaîne attachée à une barre. Les peines de plus de cinq ans dormaient à terre dans une salle de force sur un "tollard", un long banc en planches, et ceux qui avaient eu une bonne conduite bénéficiaient dans la salle des éprouvés, d'un petit matelas d'herbage. La salle des indociles était destinée aux fortes têtes qui étaient liés à une double chaîne, de jour comme de nuit, avec interdiction de travailler pendant trois ans. Les repas proposés par l'administration étaient extrêmement frugaux et se composaient de pain, de légumes secs et de vin. Cependant, les condamnés pouvaient le compléter grâce à l'argent qu'ils percevaient de leur travail et de petit objets qu'ils avaient fabriqués et vendus au bazar du bagne.
Les évasions
Tout était mis en oeuvre pour empêcher les évasions : coupes de cheveux insolites, vêtements aux couleurs vives, chaînes et manilles. Pourtant, les tentatives étaient courantes. Dès que l'une d'elles était signalée, le bâtiment amiral chargé de la police du port hissait le drapeau jaune et tirait au canon pour avertir la population. Des récompenses étaient offertes à ceux qui feraient arrêter l'évadé. Les bagnards repris, en plus de la bastonnade, encouraient trois ans de peine supplémentaire s'ils étaient condamnés à temps et trois ans de double chaîne pour les condamnés à perpétuité.
La fin du bagne
Au milieu du XIXe siècle, la fin des grands travaux d'infrastructure et la mécanisation des arsenaux font soudainement apparaître, à l'administration et à la population, l'inutilité et le danger moral que constitue la présence des forçats dans les grands ports de métropole. En 1850, le prince-président, Louis-Napoléon Bonaparte estime qu'ils seraient mieux employés à valoriser les nouveaux territoires d'outre-mer. Ainsi, en 1852, les bagnes administrés par la marine sont fermés. A Toulon, il sert jusqu'en 1873 de dépôt de prisonniers avant leur embarquement pour la Nouvelle-Calédonie et la Guyane.
Vidocq, un hôte fameux du bagne de Toulon
Née en 1775 à Arras dans une famille de boulangers aisés, Eugène François Vidocq a connu une vie aventureuse et de nombreux démêlés avec la justice. Il est condamné en 1796 à huit ans de travaux forcés pour "faux en écritures publiques et authentiques". Envoyé au bagne de Brest, il parvient à s'évader huit jours après son arrivée. Arrêté à nouveau en 1799, il est envoyé à Toulon d'où il s'évade en mars 1800. Souhaitant vivre une existence normale, il propose en 1806 ses services comme indicateur à la police de Paris. En 1811, le préfet de police le place à la tête de la brigade de sûreté, dont le rôle est de s'infiltrer dans le "milieu". Excellent physionomiste, son talent pour se déguiser et sa mémoire sans faille le rendent indispensable. Un peu trop sans doute car il finit par s'attirer la haine de ses collègues et de nombreuses personnalités. Il est révoqué par deux fois de son poste, en 1827 et en 1832, après avoir repris ses fonctions pendant sept ans. Entre-temps, il avait ouvert une usine de papier et d'encre infalsifiable, dans laquelle il employait d'anciens bagnards qu'il aidait à se réintégrer. Il fonde en 1833 la première agence de détective privé du monde. Jusqu'à sa mort en 1857, il fut harcelé par la police qui saisit à plusieurs reprises les milliers de dossiers conservé dans son agence, tentant de le compromettre dans des affaires criminelles. La justice l'innocenta à chaque fois.
Source : Toulon de A à Z - Magali Bérenger Ed. Alan Sutton.