Quand le diable s'en mêle : sorcières et possédées dans le Var
Le pays varois a connu jadis plusieurs procès de sorcellerie. Citons en 1299, deux femmes du village de la Roquebrussanne accusées de maléfices, condamnées au carcan et au fouet avant d'avoir les oreilles coupées ! Elles pouvaient toutefois éviter cette mutilation infamante en versant une forte somme à la curie de l'évêque. Deux sorcières sont brûlées vives à Hyères en 1435, place du Piol. Quatre ans plus tard, un curieux procès est intenté à deux habitants de Figanières soupçonnés de détournement d'héritage à l'aide d'un philtre magique. Citons encore six femmes convaincues de sorcellerie à Saint-Maximin en 1515 et les trois masques (masco en provençal signifie sorcière) des grottes du Garou, haut lieu archéologique surplombant le Val d'Arens, "estranglées et pendues puis bruslées" en 1614 à Cassis.
Une affaires de possession diabolique ou prétendue telle, jugée par le parlement d'Aix en 1611, a donné lieu à une abondante littérature. Cette affaire concerne le curé des Accoules, Louis Gaufridy, condamné pour envoûtement et pacte avec Satan, soumis à la torture avant d'être brûlé vif à Aix, place des Prêcheurs. Elle intéresse le Var pour la triste destinée de "la victime". Celle-ci, Madeleine Demandolx de la Palud, née à Rians en 1593, jeune ursuline en proie à des troubles de langueur et à des terreurs nocturnes, accusa son confesseur, le trop séduisant Gaufridy, de l'avoir ensorcelée par son souffle diabolique, conduite au sabbat, contrainte à toutes ses volontés, connue charnellement "tant derrière que devant" précisera-t-elle dans ses révélations.
Exorcisée à la Sainte Baume, enfin débarrassée de ses encombrants démons, Madeleine Demandolx mena par la suite une vie errante, allant de ville en ville sous étroite surveillance religieuse, se proposant comme maîtresse d'école, toujours vêtue de noir, souvent chassée par la rumeur qui l'accusait de jeter des sorts et de gâter les récoltes. Elle aurait mendié à la porte des églises et même vendu des fagots, ce qui nous paraît un comble pour une prétendue sorcière ! Elle vint enfin, après la mort de son père en 1644, se réfugier dans une bastide que sa famille possédait à Saint-Jérôme, près de Marseille, se consacrant à l'enseignement, à des oeuvres pieuses et à des travaux agricoles. Mais, l'ancienne pénitente de Louis Gaufridy, prince des magiciens, traînait derrière elle une odeur de soufre qui ne la quittera jamais...
En 1652, alors âgée de 60 ans, l'héroïne de cette ténébreuse affaire vivait paisiblement à la campagne. Elle entretenait de bonnes relations avec une fillette du voisinage qui s'appelait Madeleine et venait jouer dans son jardin. L'enfant présente bientôt les signes d'une mystérieuse maladie. Elle s'agite, convulse, vomit des épingles, des brins de paille et même des cigales ! Ces phénomènes étranges amènent les parents et les médecins à suspecter un sortilège. La fillette exorcisée finit par avouer qu'elle est tourmentée par un diable nommé Belzébuth, le mari de la Palud... Madeleine pressent le danger et va se cacher à Aix. Elle est dénoncée, arrêtée, interrogée, examinée minutieusement à la recherche des fameuses marques d'insensibilité qui signent la possession démoniaque.
On l'accuse d'infanticide, aux dires de ses voisins, d'idolâtrie, de maléfice, de sortilège et autres "niaiseries" écrit en 1664 l'historien Bouche qui ne croit plus à la sorcellerie, peut-être depuis qu'il a assisté, en ses jeunes années, au supplice de Gaufridy. Le Parlement la condamne, faute de preuves, à rester enfermée entre quatre murs le reste de sa vie. Une des ses cousines, Françoise de Gombert, dame de Châteauvieux, persuadera les juges de lui confier la garde de la malheureuse Madeleine.
C'est ainsi que "la Demandolx" passera seize années de solitude à Châteauvieux, petit village du Haut-Var, à la limite de notre département. Elle mourut en 1670, à l'âge de 77 ans, et fut inhumée devant l'autel de Sainte-Claire, dans la petite église du village. La maison voisine où elle vécut, léguée à la communauté, servit longtemps de mairie et d'école. Les Châteauvéyens n'ont jamais oublié l'infortunée Madeleine, injustement condamnée à la relégation perpétuelle dans leur village. J'ai sous les yeux l'affiche-annonce d'une fête de bienfaisance organisée par le Cercle de La Martre le 2 septembre 1934, avec au programme une reconstitution historique de l'arrivée de Madeleine de la Palud à Châteauvieux en 1654. Elle consiste en une grande cavalcade de personnages en costumes d'époque, les principaux rôle étant tenus par des habitants du lieu. Ce cortège coloré devait, tambourinaires en tête, escorter la "sorcière" de La Martre à Châteauvieux, installée dans une chaise à porteur en fin de parcours. D'autres réjouissances accompagnaient cette rétrospective : vin d'honneur, mât de cocagne, bal champêtre, concours de chansonnettes, concours de belote et de boules ferrées.
Louis Henseling assista à cette fête mémorable. Il la décrit dans cet article consacré à la "tragique histoire" de Madeleine de La Palud (Bulletin du vieux Toulon, 1935) et termine par une détail macabre. L'infortunée avait prédit à ses proches que son corps serait miraculeusement épargné par la corruption de la mort... Lorsqu'on ouvrit son caveau en 1905, "on n'y trouva qu'un pauvre petit squelette portant au cou une simple croix de fer."
Source : Ca s'est passé à Toulon et en Pays varois - Tome 2 - Tony Marmottans & Jean Rambaud - Editions Autre Temps.