Draguignan : le circuit de l'eau
Dès le Moyen Age, la ville de Draguignan fut confrontée à des problèmes d’alimentation en eau : la Nartuby coule à 2 km au sud de la ville avec un débit inconstant. A l’époque moderne, elle se tarit en période de sécheresse. Il faut cependant distinguer deux eaux : l’eau "industrielle" et l’eau "alimentaire".
La Porte Aiguières (Photo Nadine)
La première, dans l’ordre historique, était réservée aux activités industrielles (mécanique des moulins, teintureries, mégisseries) ainsi qu’à l’irrigation des terres agricoles en amont de la Porte Aiguières ou Porte des eaux. Cette eau industrielle est captée à 4 km à l’Ouest, près du pont de la route d’Ampus. Elle est acheminée par un canal dit "le canal des Moulins" ou "canal des arrosants" ou encore "canal de la Reine Jeanne".
La deuxième, l’eau alimentaire, est captée sur les flancs du Malmont (étymologie = mauvais mont), qui domine Draguignan de ses 604 mètres d'altitude, dans le vallon des Rayollets et acheminée par un aqueduc à ciel ouvert qui deviendra au fur et à mesure souterrain, pour venir alimenter les fontaines de la cité. La structure modernisée au XVIIIe siècle existe encore : depuis la source proche de la Vieille route de Figanières, jusqu’à la Porte de Grasse (de nos jours, disparue). La géologie nous apprend que le territoire de Draguignan se développe sur des assises sédimentaires du début de l’aire secondaire : trias et jurassique. (Etude de René Cova, bulletin de la Société d’Etudes, tome XXXVII).
Au niveau de la Tour de l’Horloge, le rocher est un promontoire calcaire plus dur que toute sa périphérie. Il a résisté à l’érosion (eau, vent, gel), ses alentours étant une vaste zone d’effondrement suite à la dissolution des couches de gypse. Il culmine à 240 mètres. Le castrum médiéval va s’y installer. La cité comtale puis la ville royale vont venir s’enrouler autour de celui-ci. Au point du vue géologique, le pied du rocher est constitué par des zones effondrées par dissolution du gypse. Voyons maintenant les différentes rues qui constituent le "cicuit de l'eau".
Rue du Piquet Vieux
Elle doit son nom à l’impôt sur la farine que l’on percevait à cet endroit (XVIIe siècle).
Rue des Marchands
Appuyée au nord sur le rempart du XIIIe/XIVe siècle, elle relie la place du Marché à la Place aux Herbes. Au carrefour rue du Piquet Vieux - rue des Marchands - rue de Trans se situait au Moyen-Age l’Hôpital Saint Jacques qui accueillait pèlerins, voyageurs et malades à l’entrée de la ville.
Rue de Trans
Premier faubourg de la cité et véritable artère jugulaire de la ville jusqu’au milieu du XIXe siècle, elle était le passage obligé pour Fréjus ou encore l’Italie. Portant les armes de la ville, cette Tour-porche, qui date de 1245, jadis fermée par une lourde porte et garnie d’une herse, était précédée du fossé enjambé par le pont-levis et défendu par une barbacane (ouvrage de fortification avancée qui protégeait un passage, une porte, qui permettait à la garnison d'une forteresse de se réunir à un point saillant à couvert).
La Porte Romaine (Photo Nadine)
Place aux Herbes et Porte Romaine
Le fossé comblé et la barbacane détruite ont donné naissance à la place où l’on vendait les légumes dès le XVIe siècle. La pharmacie au coin de la place reçut en 1833 le jeune Hippolyte Mège-Mouriès (1817-1880) comme stagiaire en officine. Auteur de travaux remarquables notamment sur le pain, il inventa la margarine (1869).
Le Café des Mille Colonnes, qui fait face à la pharmacie, est l’un des plus anciens lieux de convivialité de France : une auberge dans ses murs est attestée dès le XVe siècle… Au n°4 se trouve la maison natale de Claude Gay (1800-1873), pharmacien, grand naturaliste, membre de l’Académie des Sciences (1856), citoyen d’honneur du Chili.
Rue Blancherie
Son étymologie vient du provençal blancarié, où se trouvaient les mégisseries qui blanchissaient les peaux.
Lavoir de Capesse (Photo Nadine)
Rue Capessse
Son étymologie vient d’une habitante venant de Gap : Gapesse devenant Capesse). Son lavoir date de 1639, le sol était caladé (pavé de galets). Le lavoir, haut lieu de mémoire et de bavardages… Au Nord, l’on aperçoit les bâtiments du couvent de l’Observance (1501) et à l’Est le couvent des Minimes avec son clocher décalé (1706).
Rue de l’Observance
Elle doit son nom au couvent situé plus loin. Rue de l’aristocratie et des hommes de Loi sous l’Ancien Régime, on remarquera ses maisons et leurs portes.
Au-dessus de la porte du numéro 46 figure le portrait de Sandor Kisfaludy et une plaque à son nom rappelle qu'il a habité cette maison (Photo Nadine). Au n°46 séjourna en 1796 Sandor Kisfaludy, officier hongrois fait prisonnier en Italie par le général Bonaparte. Ce dernier deviendra le chantre de la poésie hongroise inspiré par une jeune dracénoise Julie Caroline d’Esclapon habitant au n°31. La porte du n°21 présente des symboles maçonniques.
Place de l’Observance
Au Moyen Age, elle était traversée par le canal "dans lequel tombaient tous les jours des petits enfants". Il fut voûté en 1638. Au n°2 s’élevait la "Maison du Roi" édifiée dès 1591. Elle abritait le Palais de Justice et la Conciergerie ou prison.
Eglise et couvent de l’Observance (1501) : des Frères Mineurs de la Régulière Observance.
L'Observance est le seul des cinq couvents de la ville de Draguignan parvenu jusqu'à nous dans son intégralité. L'église est un vaste édifice de style gothique, sobre et flanqué au levant d'un cloître rectangulaire. La nef comporte quatre travées. La voûte repose sur des arcs doubleaux légèrement brisés et des arcs à croisées d'ogives retombant sur des pilastres. Le mur gouttereau oriental est éclairé de 3 fenêtres hautes. Le mur gouttereau occidental s'ouvre par cinq arcades ogivales sur autant de chapelles voûtées en croisées d'arêtes. Le choeur est pentagonal. Sa voûte est à croisées d'ogives avec clef. Un jubé (disparu) de 9 mètres de haut, fermé par une grille isolait un vaste choeur à double rangée de stalles. Le clocher a été remplacé par un petit campanile. Les bâtiments claustraux comptaient 22 cellules pour les frères franciscains réformés de la stricte Observance, l'appartement du prieur avec terrasse donnant sur un jardin, un réfectoire, une sacristie, des écuries... Les galeries du cloître sont ouvertes par des arcades cintrées. Elles étaient décorées de fleurs symboliques. Une Descente de Croix est encore visible. Du couloir sud partait le grand escalier menant au premier étage. L'Observance de Draguignan fut la première installation de l'ordre dans le diocèse de Fréjus. Elle résulte d'une donation des quatre frères Fabre et de Louis de Villeneuve, marquis de Trans et de sa fille Charlotte, veuve Grimaldi. La construction commencée en 1501, dura plus de 16 ans, utilisant une partie des pierres du donjon de la ville, démoli en 1509. A l'intérieur furent inhumés des Villeneuve-Trans et d'illustres dracénois comme Boniface de Trans et Fouque la Garde, et dans le cimetière du chevet, des victimes de la peste (1522). Les combles de la nef recevaient les anciens ossements. La tradition veut que le frère Simon Boudet ait introduit ici la culture de la tomate en Dracénie. Le couvent connut bien des vicissitudes : place forte lors des guerres de Religion (1576) et de la Fronde (1649), tribunal de Sénéchaussée (1693), hôpital militaire pour les alliés Espagnols (1742), entrepôt pour le fourrage des cavaliers austro-sardes (1746), loge maçonnique "Saint-Jean" (1785) puis "Le triomphe de l'Amitié". Vendu comme Bien National à la Révolution, l'époque moderne en fit une fabrique de bouchons, un magasin de fruits et légumes, un garage pour l'autobus "Draguignan-Saint-André-les-Alpes", c'était un véritable capharnaüm quand la commune de Draguignan en fit l'acquisition puis la restauration. Aujourd’hui la chapelle de l'Observance est un lieu d'expositions culturelles (peintures, sculptures...). Départ de l’église pour la visite des Enfers (Infers) : salle de bassins de décantation des eaux résiduelles des moulins.
Rue des Moulins
Dénommée "rue des Enfers" jusqu’au XIXe siècle. L’accès aux cinq bassins de décantation des eaux grasses se fait en visite guidée exclusivement. Cet aménagement daté du XVIIe siècle (délib. Conseil Communal : 3 avril 1663) permettait aux savonniers de récupérer les eaux grasses issues des moulins et le revenu était employé au service des pauvres.
Rue de l’Observance
Au n°15. l'Hôtel Giraud-La Garde, façade du XVIIe siècle, six générations d’avocats s’y succédèrent. Emmanuel François Giraud de La Garde d’Agay (1653-1742) fut lieutenant général des Soumissions et Subdélégué de l’Intendant de Provence.
Porte et plaque de la maison natale d'Honoré Muraire (Photos Nadine)
Au n°14, la maison d’Honoré Muraire (1750- 1836), député du Var à la Révolution, devenu 1er Président de la Cour d’appel de Paris.
Au n°13, Hôtel Brun-Castellane(façade du XVIIIe siècle). Marc Brun de Castellane, Lieutenant de Sénéchaussée, considéré comme Frondeur, fut assassiné en 1649.
Au n°5 et 5 bis, le canal traverse la cour où existait un moulin. Le mécanisme (pressoir, engrenage, cuve) est exposé au musée des ATP. On aperçoit une meule sur le sol.
Les n°3 et 3bis abritent le Moulin de l’Horloge.
Le n°1 abrite Lou Calen. Ces deux moulins sont attestés depuis plus de six siècles. Mis aux normes européennes ils donnent la meilleure huile de la région.
Rue des Tanneurs
Jadis rue du Bàrri (du provençal : rempart) la tannerie s’y installa au XVIIIe siècle. Le rempart de la cité Comtale était renforcé par des tours carrées en saillie dont une rescapée est visible dans cette rue. Elle date du XIVe siècle.
Place des Tanneurs
L’arrivée en eau potable provenant de la source des Rayollets conduit à une chambre quadrangulaire qui abrite un bac de partage des eaux jadis régulée par les fontainiers.
Elle alimentait quatre fontaines dont certaines ont disparu de nos jours : à la place Portaiguières (disparue), à l'actuelle place Roger Fréani (1613) anciennement place du "Marché-neuf" puis "place de la Halle" enfin "place de la Poissonnerie", une autre fontaine au "Haut du Marché" (disparue), et une autre au "Bas du Marché", surmontée du buste du baron d’Azémar.
Place Portaiguières
(Provençal porto aiguiero - porte des Eaux) La Tour-porte comme la Porte Romaine date du XIIIe siècle. A cette époque existait un puits public, puis une fontaine et l’arrivée du canal des Moulins.
Rue du Jardin des Plantes
Jadis rue des Blanqueries, c’est-à-dire des mégisseries (XIIIe siècle).
Boulevard de la Liberté.
On franchit le IIIe rempart (XVIe-XVIIe siècle) en prenant le passage protégé.
Rue Folletière et le Grand Lavoir
(Date du XIXe siècle). Avec sa toiture en tuiles, ses deux bassins bordés de platanes centenaires, ses étendoirs encore en place et le coin de la "bugade". Ici arrivent les eaux dérivées de la Nartuby depuis le pont de la route d’Ampus.
Source : D'après la nouvelle documentation parue en 2010 sur le circuit de l'eau éditée par la Communauté d'Agglomération Dracénoise.