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15 février 2020

Victor Ardisson, le "Vampire du Muy"

Le Muy

Je vous présente un article un peu particulier qui relate l'histoire de Victor Antoine Ardisson (1872-1944) du Muy. Ce personnage est considéré, avec le sergent François Bertrand (1823-1878) comme l'un des rares nécrophiles passés à la postérité, et connus dans le monde entier.

Voici la description de Victor Ardisson par Alexis Épaulard, élève de l’École du Service de santé militaire, dans sa thèse pour obtenir le grade de docteur en médecine : VAMPIRISME : Nécrophilie, Nécrosadisme, Nécrophagie, présentée à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Lyon, et soutenue publiquement le 23 décembre 1901.

******************************** 

"L'étude que je donne du cas récent du vampire du Muy est le fruit de mes recherches personnelles. Des renseignements ultérieurs viendront peut être infirmer quelques unes de mes assertions. J'ai cherché à les rendre aussi exactes qu'il était possible. En cela j'ai été aidé par bien des personnes que j'ai à coeur de remercier ici. Magistrats et médecins de Draguignan, en considération de l'oeuvre purement scientifique que j'avais entreprise, ont bien voulu contribuer à rendre mon travail à peu près complet et m'ont facilité l'accès de la maison d'arrêt où Ardisson est détenu.

Victor Ardisson

Victor Antoine Ardisson est né au Muy, le 5 septembre 1872. Sa mère Elisabeth Apollonie Porre, l'eut d'un homme qu'on n'a pu retrouver. Etant enceinte elle se maria avec Honoré Ardisson. Ce dernier reconnaît l'enfant de sa femme. Ardisson étant fils de père inconnu, son hérédité de ce côté est complètement ignorée. Sa mère est âgée maintenant de soixante ans. C'est une débauchée et une violente. Alors que son fils était jeune, elle donna un très violent coup de bâton sur sa tête, d'ou pourrait provenir, d'après Honoré Ardisson, le déséquilibre mental actuel de son fils d'adoption. Cette femme quitta le domicile conjugal peu d'années après son mariage. Elle vit encore maritalement à Hyères. Le grand-père de Victor Ardisson, Antoine Porre, était sournois et parfois excentrique. La soeur de cet homme s'adonnait à la boisson. Elle eut six enfants dont trois se suicidèrent : une quatrième tenta deux fois de se suicider et la cinquième paraît atteinte de démence sénile. On ne peut retrouver que ces particularités dans l'hérédité mentale d'Ardisson. Mais il faut tenir grand compte du rôle qu'eut sur lui son père putatif, en compagnie constante duquel il a vécu pendant vingt huit ans. Nous verrons que Victor Ardisson est un débile mental.

Or, le fait est bien connu en pathologie mentale, les débiles mentaux sont des imitateurs. Victor Ardisson a du calquer Honoré Ardisson son père adoptif. Cet homme avait une très mauvaise réputation au Muy. Il vivait d'expédients et de rapines. Déjà, pendant son service militaire, il avait été condamné à huit et quinze jours de prison pour vol. Sa femme étant partie de chez lui par suite de mauvais traitements qu'il lui infligeait, il ramassa sur les routes du pays les mendiantes, les pauvres épaves qui se trainaient de village en village à la recherche d'un morceau de pain, et moyennant quelque nourriture, il faisait de ces femmes ses compagnes momentanées. Il vivait dans ces conditions avec la femme de Robini, lorsque Victor Ardisson fut arrêté. Enfin Honoré Ardisson avait une hérédité très chargée : son grand-père fut condamné aux travaux forcés ; il faisait partie d'une bande qui détroussait les voyageurs. La soeur de son père donna des signes évidents de folie et le fils de cette femme, Martinien Ardisson, fut interné à l'asile d'aliénés de Pierrefeu, pour avoir, le 11 novembre 1900, tué le nommé Bellini au Muy.

Dans quelles conditions vécut Victor Ardisson sous cette tutelle ? Les renseignements sont peu précis, faute de souvenirs nets. Victor Ardisson ne fut jamais malade ; il ne se rappelle même pas avoir eu de malaises. Il n'eut ni convulsions, ni incontinence nocturne d'urine. Sa puberté elle-même ne fut marquée d'aucun trouble notable. L'enfant fut envoyé à l'école. Il était assez appliqué, mais faisait l'école buissonnière. Il apprit à lire, un peu à écrire et fut sorti de classe encore tout jeune. Son maître n'était pas trop mécontent de lui, mais Victor était la risée de ses camarades qui l'avaient surnommé Nigno, c'est à dire nigaud, surnom qu'il garda. On le tenait à l'écart comme simple d'esprit et sournois. Ce n'est qu'à la puberté qu'Ardisson eut ses premiers penchants sexuels. Il se masturba "quand l'envie l'en prenait" mais sans excès semble t'il. Il a peu bu. Ses moyens ne le lui permettaient guère, et comme il fuyait la compagnie, les occasions étaient rares. Il lui est cependant arrivé assez souvent de s'enivrer.

C'est dans les manifestations génitales que nous trouvons la preuve absolue de la débilité mentale dont cet homme est atteint. Ainsi il ne se rappelle pas le premier coït normal qu'il ait pratiqué, et lorsqu'on lui demande l'acte génésique qu'il préférait, il répond invariablement : "ça m'est égal". La masturbation revêt chez lui un caractère particulier : Ardisson boit son sperme. Quand je lui ai demandé la raison de cet acte immonde, il m'a répondu : "C'est dommage de laisser perdre ça." Il courait après les filles du Muy. Quelquefois il leur adressait la parole et leur demandait le mariage. Elles refusaient en riant. Cela l'étonnait fort car il ne se trouvait pas vilain garçon. Alors il se retirait, sans être autrement fâché. On a raconté qu'il aurait assailli une fillette sur les bords de l'Argens et qu'il l'aurait violée si l'on n'était accouru aux cris de l'enfant. Cette agression demande à être confirmée. Quand les filles qu'il suivait allaient uriner, il se précipitait à genoux à la place qu'elles venaient de quitter et lécher leur urine en se masturbant. Il ne se cachait pas. "A quoi bon, dit il, je ne faisais pas de mal ?"

Dans le village, il était connu pour un dépravé. Aussi le dimanche surtout, gagnait-il quelque argent au métier de fellator, moyennant cinq ou dix sous par séance. Il n'a jamais commis d'acte de pédérastie ni de sodomie autre que celui là, il a toujours ignoré la bestialité. Il prétend n'avoir pas même songé à ces choses, "du moins, je ne me le rappelle pas", ajoute t'il. Il connut le coït normal grâce aux mendiantes qu'amenait à la maison Honoré Ardisson. Ils couchaient à trois au premier étage sur le même tas de paille, la femme entre les deux. Le père parti, Victor forniquait, si la femme toutefois y consentait : Honoré Ardisson se levait en effet vers trois ou quatre heures du matin. Ce dernier détail est important car toutes les fois que Victor Ardisson eut en sa possession une femme vivante ou morte, il pratiqua d'abord la succion des seins. Le premier fait de vampirisme qu'il ait commis a été accompli dans le but de voir la gorge d'une jeune fille qu'il connaissait comme bien douée de ce côté. On trouve donc chez cet homme le fétichisme des seins. La succion mammaire n'est pas la seule que pratiquait Ardisson. A toutes les femmes, vivantes et mortes, notamment aux miséreuses qu'il trouvait dans le lit de son père, il fit la succion clitoridienne.

Le Vampire

Le Vampire, gravure extraite des Mémoires de M. Claude.

Voici comment s'exécutèrent les crimes de nécrophilie qui lui sont aujourd'hui reprochés : il s'introduisait dans le cimetière soit par la porte dont il avait la clef, soit plus tard par le mur, d'accès facile. Il allait alors vers la tombe d'une femme qu'il avait vu enterrer peu de jours auparavant. L'âge lui importait peu, car on a trouvé parmi ses victimes des enfants de trois ans et des femmes de soixante ans. Il ouvrait la fosse avec une pelle, quelquefois avec les mains, descendait dans la fosse, enlevait le couvercle de la bière, défaisait le suaire, asseyait la morte sur le bord du cercueil, et après les manoeuvres de succion des seins et de cunnilingus auxquelles il s'étonnait que la victime ne répondait pas (on lui avait cependant dit que certains morts parlaient !) il violait le cadavre mais pas toujours, et en tout cas une seule fois. Il remettait ensuite les choses en place, refermait la fosse et ne revenait plus à la tombe ainsi souillée. Il aurait bien voulu emporter tous ces cadavres chez lui, en jouir longtemps et à son aise. Mais il n'était pas assez fort et cela explique qu'il ne prit qu'une tête et que le corps d'une fillette de trois ans et demi. Ainsi, au Muy, il suivait les enterrements, qui ne sont d'ailleurs pas nombreux, dans l'espoir de déterrer ensuite les cadavres de femmes. Il s'informait même de la maladie à laquelle elles avaient succombé. Il ne déterra pas le corps d'une jeune fille qui ne survécut point à une amputation de jambe nécessitée par un sarcome du tibia.

Ainsi dépravé, sordidement élevé, Ardisson vécut dans un isolement qu'accentua sa débilité d'esprit. Il subit de tout temps avec passivité les évènements qui auraient dû provoquer chez lui une profonde tristesse. On a cru voir en lui des moments de mélancolie. Interrogé cependant sur ses peines, il déclare n'en avoir jamais connu, n'avoir jamais pleuré, s'accommoder très bien de tout régime de vie qui lui assure le gîte et la nourriture. Il s'est vu successivement la risée de ses camarades d'école, le jouet de tous au régiment, l'amoureux repoussé avec des éclats de rire. Il est toujours parti sans mot dire, sans colère et sans haine. L'affection, l'attachement lui sont inconnus. Il vivait en très bonne intelligence avec son père adoptif. Il répondait cependant à un chasseur maladroit qui s'excusait à lui d'avoir blessé Honoré Ardisson : "L'aves que blessa ? Oourias miès fa de lou tua, m'oourié rapporta oou men milo fran !" (Vous ne l'avez que blessé ? Vous auriez mieux fait de le tuer, cela m'aurait rapporté au moins mille francs). Un maître maçon qui l'employa pendant huit ans et lui donna, pendant de longs chômages, du pain et quelque argent, s'étonna fort de voir Ardisson le quitter sans aucun remerciement parce qu'il ne voulait pas consentir à une augmentation de paie de cinquante centimes par jour. On s'est plu à représenter cet homme comme repoussé des vivantes et obligé d'épancher un trésor de tendresse sur les mortes qu'il exhumait. Cela paraît bien douteux. De sa maîtresse de Bonifacio, qui pourtant, s'il faut l'en croire, lui aurait donné une alliance en or, il ne se rappelle que le prénom et les seins. Les mortes m'ont paru provoquer en lui une simple admiration physique. Il les embrassait et leur donnait le doux nom de fiancée, soit, mais ses caresses ne correspondait guère à quelque idéal imaginatif. 

Si Ardisson n'est ni vraiment mélancolique, ni coléreux, il est plutôt gai, surtout depuis qu'il est en prison où il boit et mange bien. Il accompagne presque toutes ses paroles d'un étrange rire hoqueté. C'est en riant par exemple qu'il m'a posé la question qui formule son unique inquiétude : "Vous ne venez pas me couper le cou, au moins ?" Il se dit heureux ici, consent à y rester, il lavera les gamelles. Si peu dorée qu'elle soit, cette médiocrité lui plaît. Il parle de préférence en provençal, mais sans difficulté en français avec confiance et bonhomie. Il a une extraordinaire franchise, qu'on sent n'est pas du cynisme. S'il ne répond, c'est parce qu'il ne se rappelle pas, mais non point par honte de dévoiler l'odieux de ses actes. Il se fatigue assez vite dans la conversation. A vu d'oeil, le champ de ses souvenirs se rétrécit quand on prolonge l'interrogatoire. Il se rend bien compte de sa solitude. "Ca m'est égal", dit il. Que de choses ainsi lui sont égales ! Ainsi sa conscience n'a t'elle jamais lutté. Ardisson ne connaît pas le remords. Il sait, maintenant qu'on l'a surnommé, qu'il a commis des crimes. Il n'en manifeste ni honte, ni regret et promet simplement de renoncer à sa passion, sans repentir feint ou sincère.

Religieux, Ardisson ne l'était guère. On trouva chez lui un paroissien qu'il prétendit, avec raison peut être, avoir acheté lui-même à Draguignan. On y trouva également un ange en terre cuite et un ornement funéraire, pris au cimetière un jour qu'on avait nettoyé celui-ci et mis dans un coin les objets hors d'usage. Ardisson dit avoir pris ces objets parce qu'il les trouvait jolis et croyait qu'il n'y avait aucun mal à se les approprier : ce n'est pas un voleur. Il y a sans doute un vague sentiment de religiosité, beaucoup plus que de fétichisme sexuel comme on l'a cru, dans la conservation de ces deux objets. Ardisson était travailleur, sans excès, mais avec régularité. Il n'a jamais eu d'adresse ou d'intelligence pour que les nombreux métiers qu'il entreprit lui fussent rénumérateurs ; ses patrons sont unanimes à convenir qu'il est consciencieux à l'ouvrage. Pour les maçons du Muy il charriait le mortier et les pierres. Les constructions ne sont pas fréquentes dans le pays : les chômages sont longs. Avec son père, Ardisson achetait des clovisses et d'autres coquillages qu'il allait vendre à Trans et à Draguignan. Il ramassait des pommes de pin, des "pignons" pour en vendre la graine. Certains croient que le surnom de Nignon lui vient de la façon dont il prononçait "pignon". Je crois plutôt que Nignon signifiait pauvre d'esprit, imbécile. Lorsque l'occasion s'en présentait, il aidait aux travaux de la campagne.

 

Fossoyeur

 

En 1882, le fossoyeur de la commune mourut. C'est un métier qui n'est guère en honneur dans ce pays et ne rapporte que fort peu. Il n'y a que quatre ou cinq enterrements par mois au Muy, et pas davantage. Ardisson père et fils acceptèrent cette fonction pour laquelle on ne trouvait en général que des Piémontais. A peu de temps de là, Honoré Ardisson tombait dans une fosse, se faisait mal au pied et en concevait une telle frayeur, qu'il laissait la place à son fils. Quand celui-ci partit au régiment, il la reprit néanmoins. Au régiment, Victor Ardisson déserta pour aller travailler à Cannes comme maçon. Il gagnait 2 frs 30 par jour et préférait cela au sou du soldat. Cependant, depuis quelques mois, Ardisson, lors de son arrestation, travaillait avec moins d'assiduité qu'autrefois. Il est vrai que sa mauvaise réputation, l'isolement de plus en plus grand au milieu duquel il se trouvait par suite de son caractère, du mépris qu'on lui témoignait, n'ont pas peu contribué à son inactivité. Il vivait de charité, de l'asile que lui donnait son père, il se contentait d'une nourriture hétéroclite : une gousse d'ail, des concombres, des radis, peut-être même de l'herbe, et comme viande, des chats, des rats qu'il paraît fort apprécier. Cette paresse envahissante rend sa vie de plus en plus sordide. La maison du numéro 15 de la Grand Rue où habite la famille Ardisson est connue de tout le village pour ses exhalaisons fétides. Ses habitants y couchent sur la paille dans un galetas rempli d'immondices. Victor Ardisson vit seul, à l'écart, s'enivrant, mais parce qu'il mène une existence de brute. 

En 1893, il partit au service. Cela ne lui déplaisait pas il vint un jour le maire de la commune pour savoir s'il serait pris comme soldat. Il craignait une réforme pour petitesse de taille : au régiment, il comptait manger son saoul et avoir un bon lit. Ce fut effectivement ce qu'il trouva. Il fut versé au 61ème de ligne et bientôt détaché à Bonifacio en Corse. Il se souvient nettement et avec plaisir de ce temps, malgré les avanies qu'il eut à subir. Il a pu citer au juge d'instruction le nom de ses chefs, je lui ai fait moi-même exécuter des mouvements militaires qu'il a accomplis correctement et sans hésitation. Du reste, ce ne fut pas un mauvais soldat. Mais il fut bien vite le souffre-douleur de ses camarades. Ils lui volaient son pompon, sa grenade, ses gants, son bonnet de police et jusqu'à son pain, chose qui lui fut particulièrement sensible. La nuit on renversait son lit. Il ignorait les auteurs de ces mauvaises plaisanteries et n'eut pas été capable d'y répondre. Son caporal riait quand il se plaignait. Aussi s'enfuit-il plusieurs fois aux environs de Bonifacio : il n'y'a rien de l'impulsion épileptique dans ces fugues. Quand on venait le chercher, il ne résistait pas et répondait : " Vous faites bien de venir, parce que je commençais à avoir faim." Une seule fois il manifesta de la mauvaise volonté, s'entoura la tête d'un mouchoir et répondit à toutes les objurgations : " Je ne suis plus soldat, je ne suis plus soldat ! " Le capitaine de sa compagnie, le capitaine Lemoine, auquel nous devons de très intéressants détails, ne le punit jamais parce qu'il le prenait pour un fou. Le détachement auquel appartenait Ardisson revint à Marseille. Notre homme y accomplit régulièrement son service, monta la garde à la poudrière ou à la prison militaire. Peu après, le 61ème de ligne parti en maoeuvre. Arrivé à Fayence, Ardisson quitta les rangs, s'en vint à Cannes où, toujours en uniforme, il s'engagea dans un chantier. Il resta une semaine à travailler, puis reprit le chemin du Muy où la gendarmerie le cueillit. A Marseille, on le mit pour désertion à la prison militaire en prévention, puis à l'infirmerie en observation. Enfin, cent jours après, sur le rapport du médecin major de son régiment, corroboré par celui du capitaine Lemoine, il fut reconnu irresponsable et réformé. Ardisson ne se rend pas, à l'heure actuelle, compte de son renvoi du régiment. Il s'y trouvait bien, assure-t-il.

Pietro Pajetta Der_Hass 1896

La Haine (Der Hass) de Pietro Pajetta, 1896.

En étudiant l'histoire générale de cet homme, nous avons détaillé ses pratiques de nécrophilie. Quels sont donc les faits qui ont, à la suite de leur découverte, provoqué un tel mouvement d'horreur dans l'opinion publique ? Ardisson avait vingt ans. Depuis peu de temps il était fossoyeur. Il avait à ce moment les appétits sexuels de son âge et point de maîtresse. Il vit mourir au Muy une jeune fille qui avait de beaux seins, il l'enterra. Alors lui vint la pensée de la déterrer. Il mit son projet à exécution, téta le cadavre sans le violer, chercha à l'emporter, ce qu'il ne put faire à cause du poids. On évalue approximativement à une dizaine le nombre des profanations qu'il commit jusqu'à son départ au régiment. A Bonifacio, il ne commit aucune violation de sépulture : d'abord il trouva une maîtresse, puis c'est un faible d'esprit, et se trouvant hors de ses habitudes, transplanté, il lui eût été difficile de procéder à des exhumations. Pourtant le capitaine Lemoine nous dit que le cimetière est d'un accès très aisé pour les soldats et que même durant le séjour d'Ardisson à Bonifacio, une jeune fille fut enterrée, suivant la coutume du pays, à découvert.

Morte

Dès qu'Ardisson revient du régiment, une longue abstinence, le manque de maîtresse au Muy, la renaissance des vieilles habitudes le menèrent droit au cimetière. Et il continua à déterrer et à souiller des corps. Combien ? Cela serait impossible à dire. Il ne se rappelle ou ne veut se rappeler ni un nom, ni un chiffre. " Je ne les marquais pas", dit-il. Tant que son père fut fossoyeur, il entra avec la clef. Plus tard, quand son père abandonna l'emploi, il pénétra nuitament par-dessus le mur d'enceinte peu élevé. Il se rappelle qu'en 1900, il déterra une jeune fille nommée Berthe B... Ce souvenir lui est resté parce que la jeune fille avait "une poitrine superbe" et qu'il éprouva avec elle un plaisir qu'il ne connut pas avec d'autres, au point de pratiquer dans la même nuit plusieurs coïts, ce qu'il ne faisait jamais. L'enquête étant encore en cours, on a prétendu qu'Ardisson aurait déterré les deux soeurs N... et la fille A..., les aurait emportées loin du cimetière, aurait inhumé les unes au quartier du Paradou et l'autre sur la colline des Belugues. Ardisson paraît très étonné quand je lui fais lire l'entrefilet du journal qui raconte cela. Il déclare spontanément : " Si j'avais pu emporter ces femmes, il aurait mieux valu les porter chez moi. " Le 20 février 1901 mourait au Muy une fillette de quatorze ans, Léonie R... Le 22 au matin, on s'aperçut que la fosse avait été ouverte. La gendarmerie dressa procès verbal : le cadavre paraissait n'avoir pas été touché. Il n'y eut pas d'enquête consécutive. Cependant Ardisson avait profané le cadavre. Au mois de mai, le corps de la jeune Honorine F..., âgée de dix-sept ans, décédée le 15 du mois, fut également pollué. En avril, Gabrielle C..., morte le 28, fut souillée par le nécrophile. Cette enfant était âgée de treize ans et fort jolie. Ardisson voulut l'emporter. Le fardeau était trop lourd. Il détacha la tête avec un couteau de poche et, sans même l'envelopper, l'emporta sous son bras. Cette tête séparée du tronc subit une sorte de momification. C'est elle qu'il conserva longtemps et couvrait de baisers en l'appelant sa fiancée. En septembre enfin, Ardisson déterra la dernière de ses victimes. C'était une enfant de trois ans et demi, Louise M... Elle était jolie : "Si vous l'aviez vue !, me dit-il en m'en parlant. Comme elle était transportable, il la mit dans un sac et s'en fut la déposer dans la grenier de sa maison. Il coucha le cadavre dans la paille et la nuit il allait la retrouver à l'insu de son père ou bien lorsque celui-ci, qui s'absentait de très bonne heure, était parti. Pendant plus d'une semaine, Ardisson assouvit ses désirs sur ce cadavre ; la putréfaction devenait si avancée que le rectum et le vagin ne formèrent bientôt plus qu'un cloaque. Au bout de huit jours, les émanations pestilentielles qui provenaient de ce corps furent telles qu'Ardisson n'osa plus y toucher. On prétend qu'il essaya de séparer la tête pour la conserver un peu plus longtemps, et qu'il attendait la mort et l'ensevelissement d'une autre fille pour remplacer celle-ci. Sur ces entrefaites, Honoré Ardisson montant au grenier pour chercher une dame-jeanne vide découvrit ces lugubres restes. Jusqu'alors, il ne s'était aperçu d'absolument rien. Les voisins s'étaient plaints à lui des odeurs épouvantables qui sortaient de chez lui ; il avait simplement répondu que les ordures déposées au grenier par son père devaient en être la cause. Lorsqu'il aperçut la forme blanche du corps de Louise M...., couchée sur la paille dans sa robe d'enfant, il crut être en présence de quelque bête et s'arma d'une pelle avec laquelle il frappa le cadavre. Il s'aperçut bientôt de son erreur, descendit à la hâte et sur les conseils de la femme Robini prévint la gendarmerie. Victor Ardisson, arrêté, fit des aveux immédiats. On relâcha bientôt le père et sa concubine, mis hors de cause. Après une courte enquête sur place, le "Vampire du Muy" fut écroué à la prison de Draguignan où se poursuit à l'heure actuelle l'instruction.

Les docteurs Belletrud, directeur de l'asile d'aliénés de Pierrefeu, et Doze, de Draguignan, furent commis à l'examen médico-légal du prévenu. Pour plus amples détails et pour le contrôle de l'exactitude des faits, nous renvoyons au rapport de ces éminents praticiens qui sera ultérieurement publié. J'ai pu grâce à la bienveillance des autorités judiciaires et administratives de Draguignan examiner sommairement à la maison d'arrêt le nécrophile Ardisson. Je donne plus loin les renseignements tirés de la fiche anthropométrique dressée par les soins du gardien Georges Claustre.

Lorsqu’Ardisson s'est présenté à moi, il était vêtu d'une blouse blanche, d'une chemise fournie par la prison, d'un pantalon gris. Il était coiffé d'un drapeau, et chaussé de gros souliers de campagne. C'est un homme petit, d'allure massive et paysanne, la tête inclinée à droite. Il sait qu'il est intéressant. En venant vers moi, dans la cour de la prison, il lisse hâtivement sa moustache. En entrant il salue franchement et sourit. Il a les cheveux blonds, la moustache très blonde, le bas de la figure carré. Il a l'air niais, surtout dans son rire qui ressemble à un hoquet. Dans ma première visite, le Dr Doze, qui a bien voulu m'accompagner, entame la conversation en provençal. Ardisson répond en riant à toutes les questions qu'on lui pose. Il est content qu'on s'occupe de lui, se soumet sans difficulté à l'examen et me répond en français aussi bien qu'il le peut. Il répète qu'il se trouve très heureux en prison, l'écrit même sur ma demande et fume avec plaisir les cigarettes que nous lui offrons. Il n'y pas un instant de doute à avoir. C'est bien un "minus habens" que j'ai devant moi. Et comme tous deux qui l'ont jusqu'à présent interrogé, je suis obligé de sourire de cette stupéfiante absence de sens moral, de ce rire saccadé dont il accompagne jusqu'aux plus ignobles détails qu'il me révèle. A l'inspection un peu détaillée, je remarque que les cheveux sont blond clair, assez fournis, à un seul tourbillon, normalement implantés et à bordure régulière. Le front est moyen, non fuyant, les sourcils épais. Les yeux sont peu fendus, à angle externe relevé, gris avec quelques reflets orangés. le nez est droit, présente à sa racine une ride circonflexe assez rare en anthropologie pour être signalée. Les narines sont moyennes et peu mobiles. La lèvre supérieure est épaisse, proémise, la moustache et la barbe sont d'un blond un peu roux. Le menton est légèrement en retrait, ce qui constitue un certain degré de prognathisme supérieur. Les dents inférieures sont en retrait sur les supérieures de quelques millimètres. Les angles des mâchoires sont très saillants, les pommettes effacées, les zygomes peu accentués. Les oreilles sont moyennes, bien ourlées, sans tubercule de Darwin, à lobule adhérent.

Le crâne est en carène, sans inégalité autre qu'une proéminence de la bosse pariétale gauche. La bosse occipitale n'est point bombée, le crâne est au contraire petit en arrière. L'ensemble est nettement dolichocéphale. En regardant attentivement la façon, on perçoit une asymétrie peu marquée à première vue mais certaine. A gauche, l'angle de la mandibule est plus saillant, la pommette plus forte, la paupière inférieure plus haute, ce qui fait paraître l'oeil plus petit et son angle externe plus relevé que du côté droit. L'oreille gauche est implantée très légèrement plus haut que la droite. Les plis et rides de la face sont symétriques et réguliers. Ils sont nombreux et égaux dans le rire et le siffler. La langue est droite, très mobile, un peu tremblante. Le cou est court, tout à fait normal.  Le buste est épais, le thorax bombé et non velu, mais n'est point en carène. L'épaule gauche est nettement plus haute que l'épaule droite. Il n'y a aucune déviation ni déformation de la colonne vertébrale. L'abdomen est gros. Le membre supérieur est un peu grêle, mais bien conformé. La main ne présente aucune anomalie. Elle a les plus habituels. Le pouce n'est ni carré, ni en bille. Les ongles n'ont pas de striation. L'ongle de l'auriculaire, surtout à gauche est très long. C'est par coquetterie. " Ça sert à faire tomber la cendre de la cigarette", me confesse Ardisson. Les bras et surtout les mains sont le siège d'un tremblement généralisé rappelant le tremblement sénile. Il augmente quand on attire l'attention sur lui, ou suivant les jours. Imperceptible parfois, il peut être tel qu'il empêche de tenir les objets. Il n'augmenterait point dans l'excitation sexuelle. Les jambes sont normales, assez velues, pas très musclées. Les condyles fémoraux internes sont un peu saillants. Le pied n'offre de particulier que des orteils carrés, non déformés et presque égaux en longueur. le tremblement est très accentué aux jambes, surtout quand le membre inférieur est étendu sans être soutenu. Il existe une véritable danse de la rotule.

J'ai fait ensuite l'examen détaillé des organes des sens. 1°/ Yeux. - Réflexe palpébral interne intact. Il y a quelquefois du battement de paupières. Réflexe conjonctival normal. Pupilles égales, réagissant très bien à la lumière et à l'accommodation. Acuité visuelle normale. Ardisson prétend y voir presque aussi bien la nuit que le jour. Cette nyctalopie demanderait à être confirmée. Le champ visuel est très rétréci, des deux yeux également. Grossièrement mesuré, il m'a donné 25 centimètres environ. 2°/ Oreilles. - Jamais d'écoulements, ni de maux d'oreilles. L'acuité auditive est très diminuée, la montre n'étant entendue qu'au contact de l'oreille et n'étant pas entendue au contact du crâne. 3°/ Appareil olfactif. - L'odorat est nul. Ardisson ne discerne même pas le poivre à l'odeur. On s'explique ainsi qu'il ait pu vivre à coté d'un cadavre en putréfaction sans répugnance. 4°/ Appareil gustatif. - Le goût est également aboli ; il ne permet pas la distinction du salé et du sucré. Ardisson a mangé de la viande pourrie et les choses les plus abjectes, comme le sperme, grâce à cette agustie totale. Il fume sans éprouver du tabac la moindre impression. 5°/ Toucher. - Le tact est imparfait, tant à la pulpe des doigts qu'aux lèvres et à l'extrémité de la langue. Il faut piquer fortement pour provoquer de la douleur. La sensibilité générale est amoindrie d'une façon égale des deux cotés. L'hypoesthésie est surtout marquée au tronc. Il faut un écartement anormal du compas de Weber pour que les pointes soient perçues. Les organes génitaux sont d'apparence très normale, assez petits, bruns velus. Le prépuce, assez long, recouvre le gland sans le dépasser. Les testicules sont fermes, très sensibles à la pression, le gauche un peu plus bas que le droit. Il n'y a pas de trace de maladie vénérienne. Les érections ne sont point fréquentes. Il semble qu'en prison le détenu soit calme au point de vue génital. Le réflexe crémastérien existe plus net à gauche. La force musculaire est au-dessous de la moyenne. On sait que si Ardisson n'emporta que le cadavre d'une enfant de trois ans, c'est qu'il trouva les autres trop lourds. Les mains surtout quand on cherche à les étendre et à les élever. Les jambes sont bien plus robustes. Ardisson est droitier. Par le pincement, on provoque sur le biceps une onde musculaire très nette. Les réflexes musculaires et tendineux sont nuls aux muscles temporaux et masséters ainsi qu'à la face antérieure du bras. La percussion du triceps au-dessus de l'olécrâne détermine une extension assez franche de l'avant-bras. La flexion brusque des doigts par percussion de l'avant-bras est peu accentuée. Le réflexe de Westphal est légèrement exagéré des deux côtés. Celui du tendon d'Achille n'existe pas. Les réflexes peauciers au cou et à l'abdomen n'existent pas. Le réflexe crémastérien, ai-je dit, est marqué. Le chatouillement de la plante du pied provoque une sensation, mais très peu de mouvement. Au pied droit, j'ai cependant, à plusieurs fois vu cette manœuvre suivie de l'extension du gros orteil et d'un ou deux des orteils suivants. Les réflexes muqueux ont montré une abolition complète de la sensibilité pharyngée. Les réflexes circulatoires ne sont pas marqués. Ardisson est pâle et ne rougit point. Il n'y a ni dermographisme, ni troubles vasomoteurs. La circulation est du reste en général normale et les bruits du coeur n'offrent rien de particulier. L'appareil respiratoire n'offre rien à signaler. L'auscultation est difficile. L'appareil digestif présente comme particularité l'extraordinaire intensité de l'appétit. A la prison, Ardisson mange trois gamelles et deux pains, c'est-à-dire le régime de trois détenus ; au régiment, sans voracité, nous a été rapporté par le capitaine Lemoine. Le besoin de manger est le primum movens dans la vie d'Ardisson. Je ne reviens que pour mémoire sur la façon hétéroclite dont il se nourrissait. Les digestions et les selles sont normales. L'appareil urinaire ne présente rien d'anormal. Le système pileux examiné avec soin n'a donné lieu à aucune remarque particulière. Les stigmates physiques de dégénérescence ont été cherchés infructueusement. J'ai décrit l'asymétrie faciale et le tremblement. La voûte palatine n'est point ogivale, les dents sont au complet, très saines, très régulières, très bien plantées. Les oreilles n'ont que l'adhérence du lobule. Les stigmates psychiques de dégénérescence sont par contre légion. La sensibilité est, nous l'avons vu, très amoindrie chez lui. La volonté ne l'est pas moins. Les impulsions même n'ont pas plus de force que chez un sujet normal, mais c'est le frein qui manque tout à fait, le discernement de ce qui est bien et de ce qui es mal. La mémoire, sans être complètement défectueuse, n'est pas brillante, elle se fatigue vite.

Si Ardisson n'a ni cauchemars, ni hallucinations, il rêve à haute voix, à ce que disent ses codétenus. Enfin, il y a quelques absences sur lesquelles je n'ai pu avoir aucun détail. En somme, Ardisson est un débile mental inconscient des actes qu'il accomplit. Il a violé des cadavres parce que fossoyeur, il lui était facile de se procurer des apparences de femme sous forme de cadavres auxquels il prêtait une sorte d'existence".

Sources : Site heresie.com - Article intitulé : "Victor Ardisson le vampire du Muy" par le Dr Epaulard (1901), Wikipédia - l'encyclopédie libre.

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Montdevergues-museum-

Asile psychiatrique de Montdevergues (Photo Wikipédia)

Conclusion : Victor Antoine Ardisson est considéré comme un "dégénéré impulsif, nécrosadique, et nécrophile". Le docteur austro-hongrois Richard von Krafft-Ebing qui a également étudié son cas, parle d'un "débile vide de tout sens moral". Il sera condamné et interné à perpétuité à l'asile de Pierrefeu-du-Var. Il sera transféré à l'asile d'aliénés de Montdevergues de Montfavet, commune d'Avignon où il décédera le 9 mars 1944. Il a été inhumé au cimetière de Montfavet le 11 mars 1944 (mais sa tombe, reprise avec d'autres par l'administration, n'existe plus aujourd'hui et ses restes sont à l'ossuaire).

 

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