Carnoules et l'épopée des locomotives
Le chemin de fer depuis Marseille a atteint Carnoules, en voie unique d’abord, sous le Second Empire. Plus précisément en 1862 pour se prolonger à partir de 1864 jusqu’à Nice. C'est par nécessité qu'en 1864 a été établi un relais permanent pour les locomotives qui a finalement aboutit à l’installation d’un dépôt à mi-distance entre Marseille et Nice. En 1880, la ligne Carnoules-Gardanne par Brignoles et Saint-Maximin est inaugurée, ce qui a pour conséquence de rendre le relais de Carnoules encore plus important qu'il ne l'était auparavant. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, tous les trains doivent changer de locomotive à Carnoules. C’est dire l’activité du dépôt, ses ateliers, ses quais à combustible, à cette époque où pratiquement tout le trafic, "marchandises" et "voyageurs" est assuré par le rail. A l'heure de midi et le soir, les trains de voyageurs marquent un long arrêt pour que les passagers puissent se restaurer au buffet de la gare qui ne chôme guère. A signaler que c'est ce restaurant qui sera transformé par la suite en cantine pour tous les cheminots.
Puis le trafic a tendance à s'accroître durant la guerre de 1914-1918, c'est ainsi que le dépôt connaît une nouvelle extension du parc. Après la guerre, il occupe plus de 250 cheminots mais également plus de 150 à son annexe des Arcs (sur-Argens). Mais c'est alors que les grandes grèves de l'année 1920 éclatent. Le mouvement a été déclenché en février dans la région parisienne. Puis il gagne du terrain et en trois jours c'est le pays tout entier qui est en grève. Notre région n'est pas épargnée non plus. Le motif profond en est une revendication salariale face à l’inflation qui accompagne la reprise économique. Mais aussi la défense des droits syndicaux mis à mal durant la guerre où les cheminots, mobilisés sur place ou affectés aux chemins de fer de campagne à proximité du front, ont été soumis à la stricte autorité militaire. La nationalisation des chemins de fer est réclamée, mais en fait, celle-ci n'interviendra qu’une quinzaine d’années plus tard. Cette longue grève qui s’étire, avec des reprises, jusqu’au 28 mai rencontre, auprès de la population, un soutien et des gestes de solidarité qui marquent la mémoire de Carnoules.
Le dépôt P.L.M. de Carnoules (Carte postale ancienne)
Dans l’entre-deux guerres, le rail supporte courageusement la concurrence croissante de la route. Vers 1930, on compte encore 78 locomotives affectées au dépôt de Carnoules qui résiste vaillamment bien qu'il soit de plus en plus voué à la traction des marchandises, à l’exception de quelques omnibus et à la desserte complète de la ligne de Gardanne. C'est cette dernière ligne justement qui est fermée au transports des voyageurs en 1938. En 1937, sous le Front Populaire est décrétée la nationalisation de toutes les compagnies privées.
Le déclenchement de la guerre de 1939-1945 ne provoque pas une baisse d’activité du dépôt ni de la gare de Carnoules. C'est en fait tout le contraire qui se produit et bientôt, après la défaite et l’invasion de mai-juin 1940, la pénurie de carburant oblige à reporter sur le rail tout transport de personnes et de denrées. Pour pouvoir répondre à la demande et y faire face, le parc de traction est renforcé par de nouvelles locomotives et par des agents venus travailler depuis d’autres dépôts. Après l’occupation de la zone sud, en novembre 1942, qui est d'ailleurs la date du sabordage de la flotte dans le port de Toulon, la gare et le dépôt subissent la tutelle directe de l’occupant : les militaires et les cheminots allemands en contrôlent toute l’activité. Mais ces derniers doivent supporter la résistance passive et active des cheminots qui subissent eux-mêmes sur la ligne ou encore dans les gares et dépôts, les mitraillages et les bombardements des alliés. C’est dans ce contexte que survient trois mois avant le débarquement des alliés en Provence, le bombardement aérien du 25 mai 1944 par l’aviation américaine. Le site est gravement atteint mais aussi le groupe scolaire et beaucoup d'habitations aux alentours, ce pilonnage débordant très largement l’objectif visé alors. Au total, il y a une trentaine de tués, une centaine de blessés, ce sont des cheminots pour la plupart.
Carnoules - Le dépôt et la gare (carte postale ancienne)
Le débarquement et les combats de la libération interrompent tout trafic pendant plusieurs mois ; la ligne est coupée par la destruction des viaducs de Bandol, à l’ouest, et d’Anthéor, à l’est. La circulation n'est rétablie qu'à la fin de l’année 1944. A la fin de l'année 1945, les locomotives commandées par la France pour assurer la relève débarquent des Etats-Unis. A la fin de 1946, ces locomotives appelées des "141.R" sont capables d'assurer le service entre Marseille et Nice et, peu à peu remplacent les autres types de machines sur toutes les lignes y compris sur celle de Carnoules à Gardanne. En 1947, malgré la reprise de l’économie, l’inflation croissante et la baisse du pouvoir d’achat provoquent de grandes grèves qui paralysent totalement pendant trois semaines le dépôt et la gare. Au total, beaucoup de sacrifices ont été faits pour peu de résultats concrets et surtout des sanctions sévères pour certains grévistes. Puis, plus tard, l’électrification de la ligne gagne peu à peu du terrain depuis Marseille. Elle atteint Carnoules au milieu des années 60. En décembre 1965, elle est installée jusqu’aux Arcs et elle est enfin achevée en 1969 jusqu’à Nice et plus loin Vintimille. A partir de là, le dépôt de Carnoules est rendu inutile et a perdu sa raison d'être.
La locomotive de Carnoules (Photos Nadine)
Pour sauver de l’oubli un siècle d’intense activité ferroviaire, la commune a acquis une locomotive, une "4B9" qui avait été construite en 1893 et avait roulée à Carnoules de 1918 à 1930 et l’a installée, en juillet 1979, à l’entrée du village. Elle est devenue ainsi le monument symbolique de ce passé florissant.
Le 26 juillet 2011, la locomotive a été déplacée de l'endroit où elle se trouvait depuis 32 ans, à l'entrée de Carnoules du côté droit de la route. Un tender acheté par la municipalité a été ajouté. Elle trône désormais fièrement toujours à l'entrée de la ville, au rond point de l'école et du supermarché. Elle est ainsi devenue le véritable emblème de la commune.
Source : D'après un texte paru sur le site officiel de la mairie de Carnoules
Ci-dessous la vidéo du déplacement de la locomotive le 26 juillet 2011.