Les murs de pierres
Quoi de plus banal qu'un mur de pierres ? Quoi de plus habituel à notre regard que ces labyrinthes blancs ou gris qui serpentent dans nos paysages ? Et pourtant ! Derrière ces modestes ouvrages se cachent une histoire, un labeur, un savoir-faire qui méritent l'admiration. Ces murs sont issus de terres qui ont été défichées pour être cultivables. Pendant des siècles, les paysans extirpent du sol les pierres que le soc de l'araire, la pioche, soulèvent. Ils les mettent ensuite en tas sur le bord de leur champs, en des monticules appelés pierriers ou clapiers. Au cours de l'histoire cet épierrage devient de plus en plus important pour des raisons diverses. Avec l'amélioration de la mécanique agricole, les labours plus profonds entraînent une augmentation du nombre de pierres remontées. Il faut y ajouter l'apparition de la dynamite qui sert à déloger les rochers les plus récalcitrants. De même, la croissance démographique du pays encourage la mise en culture des terres de plus en plus nombreuses. Tous ces tas de pierres en bordure des parcelles seront la matière première de ces innombrables murs, patiemment dressés de génération en génération. Ils vont connaître divers usages évoluant au fil du temps. Ces murs vont avoir une fonction de protection : brise-vent ou brise-avalanche en montagne, préservation des cultures de l'intrusion des animaux. Ces murs ont aussi un rôle de lutte contre l'érosion, servant à terrasser, à soutenir des terres cultivables sur des coteaux. Ils ont aussi une fonction de délimitation, clôturant les parcelles de vignes, les jardins, les pâturages... Ce rôle sera très important après la Révolution lorsque les paysans peuvent enfin accéder à la propriété. Ils servent aussi d'enceinte à une maison, à une propriété. Enfin, ils dessinent, ils accompagnent les routes et les chemins. Mais cependant, monter un mur ne s'improvise pas. Cela nécessite une bonne technique et un coup de main habile. Cette construction dite "en pierre sèche" consiste à ajuster des pierres sans liant ou mortier. L'eau n'est pas nécessaire, d'où le nom de pierre sèche. Ce travail relève du puzzle : trouver la bonne pierre, la positionner, l'emboîter de manière précise entre les autres, sans trou, ni jeu... Dans cette opération de patience et de régularité, le paysan s'aide d'un cordeau, de fil à plomb, d'une règle pour vérifier la verticalité et l'alignement du mur, d'une massette pour caler les pierres, et d'un burin pour en tailler certaines... Tous ces murs anciens sont généralement assez épais (de 0,50 à 1 m de large). Un bon murailleur en bâtit 2 à 3m3 par jour environ. Quelquefois, il se permet des fantaisies : niches dans un muret, porte basse pour le passage du gibier, escalier volant pour le traverser. Ce dernier, que l'on retrouve fréquemment dans les terrasses de culture, est formé de pierres longues et fines encastrées dans le mur. Au cours des siècles passés, ces murets sont entretenus par les travailleurs des champs. Chaque jour, ils entassent les pierres. Mais le temps viendra où ils seront moins nombreux et plus occupés à leurs cultures qu'aux murs qui les bordent.
Sous les assauts de la pluie, du vent, de la végération, des terrains qui bougent, les murets vont peu à peu se lézarder, s'affaisser, s'écrouler. Le résultat est dommageable car cette trame minérale structure et valorise le paysage, maintient le patrimoine rural. Quelquefois, ces murs sont carrément pillés pour leurs pierres et remplacés par du parpaing. Là, on touche à leur rôle écologique trop souvent ignoré : les vieux murs de pierres sèches servent de refuge à une faune et une flore variées. La mésange bleue, le lézard des murailles, la couleuvre, l'escargot petit-gris... s'y cachent dans la moindre fente. Les fougères, mousses, lichens colonisent aussi ces espaces de vie. Fort heureusement, ces murets ont leurs ardents défenseurs. De courageuses associations, des particuliers volontaires restaurent ce patrimoine, organisent des stages qui font découvrir les techniques et le savoir-faire liés à la pierre sèche. Celle qui fut autrefois un obstable au soc de la charrue peut-elle se révéler aujourd'hui un atout dans nos paysages qui se dégradent ?
Source : D'après "Le petit bâti" - Edouard Delobette - Le papillon rouge éditeur.
Nota : J'ai pris ces photos à Trans-en-Provence au quartier de Terre blanche.