Le château d'Entrecasteaux
La découverte d'Entrecasteaux est un rare plaisir. Il faut longer des carrières d'argile rouge qui se transforment peu à peu en un vallon ombragé, descente rythmée par le clapotis de la rivière, pour finalement déboucher sur un village provençal typique, agrémenté de vestiges du XIe siècle. Le bourg est surplombé par un imposant château datant des XVIe et XVIIe siècle et de son jardin à la française du XVIIIe siècle dessiné par Le Nôtre, qui tranche singulièrement avec la végétation environnante. Chapelles, mais aussi ponts, fontaines et lavoirs témoignent également d'un riche passé.
Vue sur le village et le château (Photo Nadine)
Dès la reconquête de la Provence sur les Sarrasins, les premiers seigneurs réoccupant les lieux eurent pour souci évident d'établir des points forts sur leurs nouvelles terres. Ainsi nacquirent les premiers donjons et les premières tours de guet que l'on trouve en Provence, comme ailleurs sur le littoral espagnol ou italien.
Au XIe siècle, les premiers membres de l'illustre famille de Castellane (Boniface 1er cité en 1089) s'installent dans la région. C'est sans doute eux qui élevèrent la première demeure seigneuriale, qui avait plus une allure de fortin que de château, tout en agrandissant leur territoire. Les derniers achats connus sont ceux traités avec Raymond Malssane en 1275, Thomasse de Gantelmin en 1350, Marthe Tarnèse en 1400. La commanderie de Salgues sera depuis le XIe siècle co-seigneur sur le territoire de Saint-Antonin, proche d'Entrecasteaux.
Les Castellane prirent les noms et titres d'Adhémar de Monteil, comtes de Grignan. En effet, Gaspard de Castellane avait épousé le 6 janvier 1498 Blanche Adhémar de Monteil et, dès lors, cette famille habita à demeure à Entrecasteaux qui devint un château. Plusieurs fois remanié, celui-ci, partiellement incendié en 1600 fut remis en état par le fastueux François de Castellane Adhémar de Monteil d'Ornano, comte de Grignan, marquis d'Entrecasteaux.
Bien que le château fut une petite chose pour ce représentant en Provence du Roi Louis XIV (il en était gouverneur de fait), il dépensait des sommes importantes pour lui donner l'aspect général que nous lui connaissons.
Au désespoir de sa belle-mère, la marquise de Sévigné, affolée toute sa vie par le train de vie ruineux de son gendre. François, accablé de dettes, devra d'ailleurs vendre son château et son marquisat à la famille Bruny. Si les Grignan ne venaient au château que pour y prendre l'air, les Bruny comme les Castellane précédemment, y vivront plus habituellement et ce, jusqu'à la Révolution. A cette époque, il appartenait alors à Jean Paul Bruno, conseiller au Parlement et président à mortier, condamné à mort à Orange le 20 juin 1794 et exécuté trois heures après.
Le château devint bien national et aurait dû être abattu comme témoin gênant d'un passé révolu. C'était le voeu de "La Société des Anti-politiques et Républicains" d'Entrecasteaux, une de ces sociétés qui fleurirent un temps dans tous nos villages et qui sans pouvoir réel tentaient d'influencer les élus de la République. Ce fut semble-t-il le curé Dauphin, que les révolutionnaires avaient obligé à se marier, qui réussit à convaincre le conseil de la communauté de n'en rien faire.
Ce qui permit, le 21 pairial an III de la République, à la citoyenne Dorothée Thérèse Marguerite Félicité Bruny, assitée du citoyen Jean Jacques Bernard Montmege son mari, et aux deux soeur Marie Félicité Pulchérie et Elisabeth Angélique Bruny de présenter une requête aux citoyens administrateurs du district de Barjols. Dorothée était la fille de Jean-Paul Bruny, guillotiné, et Marie et Elisabeth étaient ses petites-filles. "Elles exposent que par la loi du 21 thermidor dernier, à son article 18, il est ordonné que les biens, meubles et immeubles qui avaient été frappés de la confiscation, seraient rendus libres et remis aux héritiers des condamnés depuis l'époque du 10 mars 1793. En exécution de cette loi, les exposantes demandent que les biens, meubles, immeubles, effets et capitaux situés dans la commune d'Entrecasteaux leurs soient livrés libres et en toute propriété". Et de ce fait, le 25 messidor an III, le Directoire du département ordonna au receveur des droits d'enregistrement "le lever tous séquestres et scellés sur les biens du dit Bruny comme aussi de rembourser aux héritiers le prix des meubles et immeubles qui auront pû être vendus". Le château revint donc aux héritiers des Bruny dès l'an III (1794) puis il passa aux de Lubac, de Vachères par mariage avec l'héritière Marie Félicité Pulchérie de Bruny, fille de Jean-Baptiste, marquis d'Entrecasteaux, né en 1761 qui assassina sa femme en 1784. Depuis, le château resta aux de Lubac, alliés par mariage aux d'Omaison, jusqu'à ce que Pierre de Lubac et Yvonne de Lubac veuve de M. d'Omaison, le vendent en 1949 à la commune d'Entrecasteaux dont le maire était alors Monsieur Albert Giraud.
A ce moment là, le château est encore plein de meubles et de tableaux avec une très belle bibliothèque et toutes ses archives. Il n'en restera rien en 1974 lorsque le peintre d'origine écossaise Ian Mac Garvie Munn le rachète et le sauve de la ruine.
Le château vu des jardins (Photo Nadine)
Note de Nadine : Imaginez que ce château fut vidé, pillé de tout ce qu'il contenait dès qu'il passa dans les biens de la commune. Tout le monde s'est servi. On ne parlait pas encore alors de préservation du patrimoine. Imaginez que les gens ont passé les meubles, les tableaux, les tentures, les lustres, les livres, les papiers... par les fenêtres. La bibliothèque contenait quelques 3000 livres.
Ils ont tout pris, emporté chez eux, vendu. Il ne restait rien dans le château, pas même les portes ou les fenêtres. Seules les cheminées ont résisté à ce pillage, à ce saccage aveugle. Je trouve cela extrêmement dommage et lamentable car le château avait résisté à la Révolution et c'est à notre époque qu'il a été dévasté.
A la suite de Ian Mac Gavie Munn qui mourut brutalement, ce fut son fils qui prit le château en mains. Mais il ne sut pas gérer ce si lourd patrimoine et il dut le revendre. Aujourd'hui, si vous vous rendez à Entrecasteaux, ne manquez pas de faire la visite du château (dans le cadre des Journées du Patrimoine par exemple, le 19 et 20 septembre 2015). C'est l'actuel propriétaire, Alain Gayral qui vous servira de guide. Vous serez sans doute emballés comme moi par la passion et l'énergie qui se dégagent de ce personnage. Il s'occupe pratiquement tout seul de la réfection et de l'entretien de cette bâtisse immense. Il saura vous captiver en vous racontant l'histoire du château, de l'Amiral Antoine de Bruny d'Entrecasteaux qui partit en 1791 à la recherche de La Pérouse dans le Pacifique sud et qui y périt du scorbut en 1793 et de bien d'autres choses encore...
A découvrir : les contreforts, les voûtes, les salles d'armes, les salles de garde du XIe siècle et les oubliettes, les ferronneries du XVIIe siècle. Les jardins dessinés par Le Nôtre et la glacière en rotonde du XVIIIe siècle (inspirés par Versailles). Entièrement remeublé d'objets d'époque par Alain Gayral : meubles, tapisseries, tableaux, cartels. Sans oublier les cuisines du XVIe siècle, les cabinets de curiosités, le salon de musique baroque, la bibliothèque. La chambre de la marquise avec son baldaquin, le salon Louis XIV, la salon Empire, la suite orientale, Vous pouvez voir également des costumes d'époque et de théâtre. Aujourd'hui, le château d'Entrecasteaux est le plus important du Var. Le prochain projet du propriétaire et son rêve (mais pourquoi pas ?)... rénover le pont-levis.
Statue de l'Amiral Antoine Bruny d'Entrecasteaux (Photo Nadine)
Pour en savoir plus sur le château, consultez le site officiel :
http://www.chateau-entrecasteaux.com/fr/
et cliquez sur les photos-vignettes pour le découvrir.
Sources : "Histoire d'Entrecasteaux et de Saint Antonin" - Jacques Seillé - 1986 -
et d'après le guide "Bienvenue en Provence" - Edition 2006.