Jules Gérard de Pignans, le tueur de lions
Acte de naissance de Cirille Jules Basile GERARD
Cirille Jules Basile Gérard dit Jules GERARD est né à Pignans (Var) le 14 juin 1817
Son père, Calixte François GERARD, né à Cotignac, était percepteur des contributions directes de la commune de Pignans. Il mourut à Pignans le 28 juin 1829 à l'âge de 48 ans. Son acte de décès précise qu'à cette époque, il était juge de paix du canton de Besse et chevalier de l'Eperon d'or (voir l'explication sur cet ordre à la fin de l'article).
Jules manifesta de bonne heure une véritable vocation pour l'état militaire. Il aimait beaucoup la chasse, première passion des âmes vigoureuses comme la sienne. Il termina toutes ses études à l'âge de quinze ans. A vingt et un ans, il tira un bon numéro dans l'urne de la conscription au grand désespoir de sa mère qui ne voulut pas le laisser partir. Il en tomba malade et on lui ordonna de voyager en Italie. Il parcourut le pays puis s'embarqua pour l'île de Malte. C'est là qu'un soir se trouvant dans un café à La Valette, il tomba sur un journal de France. Les soldats allaient se battre en Afrique, Abd-el-Kader levait le drapeau de la guerre sainte ! Jules écrivit à sa mère qu'il était né pour le métier des armes et qu'il partait en Algérie. Voyant la détermination de son fils, sa mère ne put que se résoudre à le laisser partir.
Le 13 juin 1842, il s'inscrivit comme engagé volontaire au rôle du troisième régiment de spahis en garnison à Bône. Dès lors, l'existence du spahis, ce cavalier d'avant-garde, frère du zouave, dont il a toutes les qualités et tous les défauts, plonge Gérard dans le ravissement. Jamais soldat n'apporta plus d'ardeur à se former aux manoeuvres. Six mois après son entrée au corps, on lui donnait les galons de brigadier. Ses chefs l'aimaient pour sa bravoure, son air digne, ses initiatives, son adresse au tir à la cible et pour son courage à la chasse au sanglier, à la hyène et au chacal. Depuis deux ans, Gérard était au service. Les environs de Bône étaient presque pacifiés. Tout le service de garnison consistait à surveiller les tribus insoumises. Il saisit bientôt l'occasion de se rapprocher de l'ennemi en se faisant inscrire au nombre des hommes destinés à former l'escadron de Guelma. Gérard parlait fort bien l'arabe, il s'était familiarisé avec les moeurs des indigènes.
Là, il apprend qu'un lion, descendu de la montagne, sème la terreur et la désolation dans le pays d'Anchouia, situé à vingt-quatre kilomètres du camp français. Gérard s'exalte et prend la résolution de combattre le monstre. Il va trouver son chef d'escadron, le capitaine Durand, pour lui demander son autorisation et le voilà en route. Le 8 juillet 1844, à six heures du soir, au moment où il s'est placé en embuscade, il entend un rugissement terrible. Aussitôt, il arme son fusil à deux coups. Un des chiens se brise. Gérard ne recule pas. "Bon, se dit-il, il faut que je le tue d'une seule balle !" Deux spahis l'ont accompagné dans son expédition. Gérard traverse un bouquet de lentisques et de pistachiers qui le sépare du lion. "Ne me suivez pas, abritez-vous, dit-il à ses compagnons, et surtout ne tirez que si je le manque". Soudain le lion paraît. Seulement vingt pas le séparent du chasseur. Il relève sa tête énorme, sa crinière se hérisse, il va bondir. Mais l'héroïque brigadier le tient en joue. Il presse la détente, le coup part. Le lion foudroyé laboure la terre de ses bonds convulsifs. Une balle lui a pénétré dans le crâne entre les deux yeux. L'intrépide Français repart annoncer la bonne nouvelle. De tous côtés retentissent des cris de triomphe et d'allégresse. Les torches s'allument, des coups de feu donnent le signal d'une fantasia délirante. Tout le monde se presse autour de Gérard, tous veulent toucher sa main glorieuse. Le lion dépouillé pesait deux cent cinquante kilos et mesurait trois mètres de long. Gérard, à dater de ce jour fut presque un dieu pour les Arabes. Ils lui donnèrent les titres les plus pompeux : chérif, cheik, émir, sultan des lions. Son nom se répandit dans toutes les peuplades voisines. Trois semaines après la mort du premier lion, quelques Arabes de la Mahonna, viennent implorer son secours. Un autre roi du désert leur enlevait chaque nuit hommes et bestiaux. Il demande à nouveau une permission et se rend accomplir sa nouvelle mission. Cette fois, il est mieux armé. Son fusil contient un double lingot de fer. Le 4 août, vers deux heures du matin, il voit arriver le plus gigantesque et le plus audacieux des lions africains. Il ajuste la bête au moment où elle se dresse la gueule ouverte. Il tire et abat le lion.
Ainsi dans l'espace de vingt cinq jours, un obscur brigadier de spahis a tué deux lions. En récompense de son dévouement et de son intrépidité, le général commandant la subdivision de Bône lui fit cadeau d'un fusil d'honneur et voulut le présenter au duc d'Aumale. Celui-ci demandait à connaître un homme dont l'histoire tenait du prodige. Il reçut le tueur de lions à bras ouverts et lui donna la plus belle de ses carabines.
Jules Gérard n'a jamais perdu le souvenir de ce touchant accueil du fils de Louis-Philippe. Au nombre des services rendus par le jeune sous-officier de spahis, il faut signaler celui d'avoir mis un terme à l'incertitude où la science flottait encore, au sujet du véritable caractère du lion. Le chiffre des monstres africains tués par Jules Gérard s'élève en 1857, à vingt-six ! Par la suite, il fut nommé sous-lieutenant du 3ème spahis en récompense de son comportement lors du siège de Zaatcha, puis devint lieutenant et enfin capitaine.
Gérard mourut en Afrique lors d'une nouvelle expédition au cours de l'année 1864. Il se noya en territoire de Sierra-Leone, en traversant le Jong, grossi par les pluies. Il n'était âgé que de 47 ans.
Source : La chasse au lion par Jules Gérard - Le tueur de lion - Portrait et biographie de l'auteur par Eugène de Mirecourt. Mort de Jules Gérard.
Nota de Nadine : Pour la petite histoire, Jules Gérard a inspiré à Alphonse Daudet le personnage de Tartarin de Tarascon.
Complément
Le père de Jules Gérard était Chevalier de l'Eperon d'Or, en voici l'explication : cet ordre a été créé dans les Etats romains, en mars 1559, par le pape Pie IV, sous le nom d'ordre de la Milice Dorée, dans le but de récompenser les personnes qui se distinguaient dans les sciences, les arts et les armes. Les membres portaient le titre de Chevaliers-Pie, du nom du fondateur de l'ordre. Plus tard, il prit la dénomination de l'Eperon d'Or, et se conserva pendant des siècles avec la pureté de son institution primitive. Il fut successivement confirmé par les papes qui suivirent Pie IV, et notamment par Grégoire XIII, en 1572 ; Sixte V, en 1585 ; Benoît XIV, en 1740. Mais le temps l'altéra, et, plusieurs familles princières de Rome, des dignitaires de l'Etat, nonces, légats, s'étant arrogés le privilège d'en conférer les insignes, il fut accordé sans réserve ni ménagement et perdit la considération dont il avait si longtemps été entouré, ce qui engagea le pape Grégoire XVI à le remplacer, le 31 octobre 1841, par l'ordre de Saint-Sylvestre, ou de l'Eperon d'Or réformé.
Source : Dictionnaire des Ordres de Chevalerie.