Les pigeonniers de Provence
Une Provence à tire-d'aile
Trahis par l'envol effrayé de quelques pigeons, d'innombrables colombiers (de coulon, nom ancien du pigeon) se révèlent soudain au regard du voyageur. A celui qui daigne s'en approcher, ces citadelles narrent une époque où leurs hôtes volatiles participaient au quotidien de la communauté rurale. Moyens de communication formidables quand le téléphone n'existait pas, lorsque la poste allait un train de sénateur, messagers d'espoir en temps de guerre, les ramiers sont depuis la plus haute Antiquité, pourvoyeurs de chair délicate. Synonyme de fertilité, leurs fiente ou colombine, amendera les terres jusqu'à l'avènement de l'engrais chimique. Rien d'étonnant alors, si d'un bout à l'autre de la Provence, on trouve des pigeonniers.
Pigeonnier à l'entrée de Lourmarin 84 - (Photo internet)
Ils sont tous différents car chacun les édifie selon ses moyens. Ceux dits "à pied" sont l'apanage des grands domaines et ils accueillent des milliers de volatiles du bas jusqu'en haut de la bâtisse. Ceux-là sont assujettis à des taxes jusqu'à la Révolution, dont seuls les seigneurs peuvent s'acquitter. Ici et là s'érigent des structures plus modestes, sur solives ou à cheval, dispensées de toute autorisation de construire. Ceux-là n'hébergent des pigeons que dans la partie supérieure de l'édifice : le rez-de-chaussée sert de remise ou de poulailler, et l'étage supérieur, de réserve pour le récoltes. Somptueusement coiffés d'un clocheton polychrome ou encastrés dans la falaise tels les singuliers pigeonniers rupestres de Quinson (04), de Lauris (84) et des Baux (13), moulins à vent ou tours de guet moyenâgeuses détournées, ils ont en commun le souci de leurs hôtes. Larges lucarnes aménagées dans le toit pour faciliter le ventilation, grilles d'envol plein sud, à l'abri du mistral et de dimensions réduites, histoire de barrer l'accès aux buses et aux faucons.
Pigeonnier à Tavernes 83 - (Photo internet)
Pigeonnier à Lanson de Provence 13 - (Photo internet)
Généralement, une randière, mosaïque de carreaux vernissés vert olive, mordorés, rouges et bruns, ceint le pigeonnier ou du moins les ouvertures, empêchant l'ascension des rats, belettes et fouines. Sur la hauteur du bâtiment, courent des larmiers, souvent en tuiles, parfois en pierre ou en lauze. Disposées en génoise, voire en une ou plusieurs rangées successives, ces cordelières, outre qu'elles coupent la monotonie verticale de la façade par leurs courbes et surplombs, renforcent la solidité de l'édifice et servent de promenoirs au pigeons. Le pigeonnier conjugue ornements et accessoires et présente une typologie différente selon les régions. Aux abords du delta du Rhône, l'architecture flirte avec les chaudes tonalités de la pierre blanche, exempte de carreaux vernissés, percée d'ouvertures en pyramide. Près d'Aix-en-Provence comme sur les premières terres brûlées de Haute-Provence, la préférence est donnés aux colombarii cylindriques, inspirés de l'Antiquité.
Les bories de Gordes appelées les trois soldats, dont deux pigeonniers (Photos internet)
Tous valent le détour comme ces pigeonniers-bories de Gordes, surmontés de quilles en pierre (symboles phalliques de fertilité) au nombre de trois dont deux pigeonniers, ou bien celui construit au XVIème siècle dans l'ombre du château de Lourmarin, naguère riche de trois mille boulins.
Le colombier de Brue-Auriac (photo internet)
A Brue-Auriac (83), le plus grand colombier de France du XVIIIème siècle est l'un des plus étonnants. Il est répertorié comme étant un des plus beaux pigeonniers de Provence et d'Europe : 22,50 m de haut et 12,43 m de diamètre. Il pouvait contenir plus de 1500 pigeons. Sa toiture est soutenue et décorée de pilastres. Le pigeonnier a été construit aux environs de 1750 par Georges Roux de Corse, armateur Marseillais qui élevait des pigeons voyageurs. Il est bâti sur un plan circulaire, de manière à pouvoir installer une échelle tournante permettant d'accéder individuellement à chacun des nids appelés "boulins" : un arbre vertical élevé au centre de la tour soutenait une échelle verticale ou inclinée se déplaçant à une faible distance de la paroi.
Pigeonnier à Limans 04 - (Photo internet)
A ces construction circulaires, d'autres préféreront la tour carrée, plus facile à bâtir : lucarnes au niveau de la toiture en cascade ou "pied-de-mulet", bandeau aux rives des murs pour protéger des vents dominants, grilles d'envol flanquant la façade principale en Camargue ou dans les Alpilles, pierre de taille sur encorbellements, à l'instar du pigeonnier de Limans, dans la pays de Forcalquier (04).
Si ces pigeonniers sont volontairement isolés, d'autres s'adossent carrément aux bâtiments d'exploitation. Ainsi au château de Calissanne, entre La Fare-les-Oliviers et Saint-Chamas, un colombier néogothique du XIXème siècle aux allures fantasmagoriques trône dans l'angle d'un bâtiment, véritable rotule dans la liaison des volumes. Cent mètres en contrebas, un pigeonnier sur toit embrasse la campagne alentour. Le prieuré de Saint-Roch, à Tarascon, abrite, lui, une belle construction en pierre coiffée d'une dôme et d'un escalier de même facture.
Chapelle-colombier de Sainte Madeleine à Mirabeau 84 - (Photo internet)
Près de Pertuis, la chapelle-colombier de Mirabeau, du haut de son roc, domine la Durance depuis le XIIIème siècle ; construction de style roman, avec façade et clocher dotés de pierres en relief en guise de plage d'envol. Combien de colombiers singuliers se voient ainsi en terre provençale ? Plusieurs milliers... Laissez traîner le regard du côté des propriétés agricoles, en plaine ou à flanc de coteau, vous en découvrirez de nouveaux, spectaculaires dans l'équilibre des volumes. Ces sentinelles du patrimoine offrent à chacun de survoler l'histoire rurale, de rappeler qu'ici en Provence, la liberté architecturale fut acquise aux roturiers bien avant la Révolution. En espérant que ces petits bâtis trop souvent voués à la ruine mais classés à l'inventaire des Monuments historiques cependant, demeureront encore longtemps des bastions du paysage méridional.
Source : D'après un article paru sur Pays de Provence - n°34 mars-avril 2003
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Je mets le lien d'un article paru le 21 janvier 2013 et qui avait pour titre : Les pigeonniers de Haute-Provence.
Pigeonnier à Châteaufort Alpes-de-Haute-Provence (Photo Wikipédia) Pigeonnier en Provence (Carte postale) Pigeonnier à Limans (Alpes-de-Haute-Provence (Photo Wikipédia) Autant de provinces, autant de coutumes différentes à l'égard du droit au pigeonnier. En Haute-provence, sous l'Ancien Régime, les pigeonniers étaient exclus des privilèges seigneuriaux.
http://www.passionprovence.org