Claude Chappe invente le télégraphe (avec vidéo)
Maison natale de Claude Chappe, inventeur du télégraphe aérien (1763-1805) à Brûlon (Sarthe)
Avez-vous déjà observé une tour abandonnée à tous les vents plantée sur une colline ? A quoi pouvait-elle bien servir ? Elle fait partie des quelques 500 tours de pierre qui s'élevaient dans le paysage français. C'est sous la Révolution que naît ce réseau de communication unique au monde. A cette époque, la guerre fait rage et dans un pays peu sûr, le pouvoir central a besoin d'un système de messagerie qui assure rapidité et discrétion de la transmission des informations. Un homme, du nom de Claude Chappe, s'avère providentiel. Rien ne le prédisposait cependant à se lancer dans cette incroyable aventure. Né en 1763 à Brûlon près du Mans dans la Sarthe, Claude Chappe entre d'abord dans les ordres. Nommé abbé à la fin de ses études au Collège Royal de la Flèche, il perd sa sinécure*. Le voilà sans travail mais pas sans idées. Cet homme passionné de mécanique, de physique et de phénomènes électriques décide de développer un système de communication par des stations-relais, une télégraphie plus rapide que les antiques tours à signaux ou encore la course d'un cheval au galop.
Il imagine un réseau de sémaphores distants de 10 à 20 km chacun en fonction du relief. Ils sont coiffés d'un système original : un mât de de 7 mètres de haut, sur lequel pivotent deux bras articulés en bois de 4.60 mètres qui peuvent prendre différentes positions en fonction de la manière dont on les manipule. A l'aide d'un code tenu secret, les bras sont orientés de façon à former des lettres ou des mots. Chaque tour est équipée de télescopes qui pointent des deux côtés de la ligne. On peut de la sorte envoyer très rapidement des messages d'une tour à l'autre. Claude Chappe avec l'aide de ses quatre frères chômeurs développe le réseau. C'est le 2 mars 1791, à 11 heures du matin, qu'ils envoient leur premier message : "Si vous réussissez, vous serez couverts de gloire". Ils ne croyaient pas si bien dire. Cela se passait dans le département de la Sarthe où ses frères habitaient et d'où la famille était originaire.
Fort de son succès, Claude Chappe se rend à Paris. Le 22 mars 1792, il soumet son invention à l'Assemblée nationale et la présente "comme un moyen d'envoyer des ordres aux frontières du pays et de recevoir la réponse pendant la durée d'une séance de l'Assemblée". Les députés sont séduits par ce système mais comme toujours, il faut du temps avant que le projet se réalise. C'est en mars de l'année 1793 que le député Charles-Gilbert Romme**propose à la Convention nationale d'utiliser l'invention de Chappe pour transmettre les informations militaires et remplacer ainsi les estafettes à cheval. Le 26 juillet 1793, le ministre de l'instruction publique, Joseph Lakanal, ordonne l'ouverture de la première ligne télégraphique qui sera construite entre Paris et Lille. Elle comprend quinze stations sur environ 200 kilomètres. Six mois plus tard, soit le 1er septembre 1794, ce réseau de sémaphores informe les Parisiens de la victoire de Condé-sur-Escaut sur les Autrichiens moins d'une heure après que l'évènement a eu lieu. La réaction du gouvernement ne se fait pas attendre ; c'est l'enthousiasme général. Le télégraphe a trouvé sa raison d'être et le soutien politique dont il avait besoin. Chappe administre cette vaste entreprise avec la collaboration de ses frères. Désormais, à son apogée, le télégraphe optique compte 535 tours réparties sur près de 5 000 kilomètres de réseau. C'est ainsi qu'une dépêche transmise par le biais de ce système révolutionnaire met environ 4h30 pour effectuer un parcours allant de Paris à Montpellier ! Dans notre région, le télégraphe arrive à Toulon le 14 décembre 1821 pour le plus grand bonheur du maire de la ville. Cette surprenante toile d'araignée tissée dans le paysage va laisser ses marques car toutes les tours que l'on voit encore au hasard de voyages ou de promenades sont bâties sur une hauteur : montagne ou colline, mais encore et plus rarement sur un monument existant tel le clocher d'une église ou la tourelle d'un château. Les stations sont de forme carrée ou bien ronde, en pierres, sans plan architectural bien précis. Elles sont divisées en deux pièces : l'une d'elle sert à la manipulation des bras du télégraphe et l'autre est consacrée au repos des employés qui sont soumis à un régime sévère de présence, car il faut bien faire fonctionner les bras qui envoient désormais des signaux dans toute la France. La première pièce comprend un mécanisme complexe formé de leviers, d'axes, de contrepoids, de poulies, de cordes en laiton qui est actionné par l'homme. Les bras de cette gigantesque "araignée" font de un à quatre mètres de long. Ils sont en bois et peints en noir pour mieux se détacher sur la luminosité du ciel. Ils peuvent être orientés dans 98 positions qui génèrent 8 464 mots ou groupes de mots permettant de constituer des messages.
Illustration couleur du Petit Journal
A partir de 1831, le Sud de la France sera largement pourvu en télégraphes de Chappe. Deux grandes lignes ont été déterminées pour couvrir au maximum le territoire : il s'agit de la ligne "Toulon-Marseille-Lyon-Paris" et la ligne "Bayonne-Paris". Puis à partir de 1834, le réseau transversal "Avignon-Narbonne-Toulouse-Bordeaux" est mis en service. Enfin, en 1840, une ligne voit le jour entre Narbonne et Perpignan, justifiée par le trafic intense provoqué par la conquête de l'Algérie. Ce réseau télégraphique inventé par Chappe restera toujours sous le contrôle de l'Etat pour des besoins administratifs, politiques ou militaires. Dans le Var, les messages étaient essentiellement destinés au préfet maritime de Toulon. Lorsqu'ils concernaient le préfet du Var, ils étaient aussitôt amenés à Draguignan à cheval. (Nota de Nadine : Draguignan était, depuis 1800, la préfecture du département du Var. Elle le restera jusqu'en 1974 où elle fut transférée à Toulon, non sans cris et sans heurts). Le télégraphe de Chappe servira également à d'autres usages que l'usage militaire. Il permettra de transmettre par exemple, les résultats des toutes premières loteries nationales et des informations commerciales comme le prix de certaines matières premières.
Carte montrant l'implantation du télégraphe Chappe à travers la France et les pays limitrophes
Puis peu à peu, à partir de 1840, ce système de télégraphe optique va cesser d'agiter ses bras démesurés à travers le territoire. Devenu coûteux à cause de la construction de plus en plus importante des tours et le fait qu'il fallait un personnel nombreux pour le faire fonctionner, il n'est plus rentable. D'autre part, un Américain, du nom de Samuel Morse*** (1791-1872), invente un système de communication électrique qui portera plus tard son nom. La transmission des signaux est plus rapide qu'avec les stations de Chappe qui présentent de nombreux inconvénients : l'impossibilité de communiquer par temps de brouillard ou de pluie. Les transmissions de nuit, en utilisant des fanaux arrimés aux bras, n'ont pas donné entière satisfaction. Le télégraphe de Chappe est dépassé, il est devenu obsolète. En France, l'exploitation de ce réseau optique durera cependant jusqu'en 1852, année de la mise en service du télégraphe électrique entre la capitale et Strasbourg et en parallèle avec le tout nouveau chemin de fer. Le système Chappe sera encore utilisé en Algérie de 1844 à 1859 et sur les champs de bataille de Crimée en 1855, grâce à des stations mobiles. Les tours de Chappe n'auront plus de raison d'être. Les bâtiments, leurs mécanismes et leurs mobiliers seront mis aux enchères publiques par le service des Domaines. Beaucoup seront abandonnées à l'usure du temps, d'autres réhabilitées par des amoureux du patrimoine et des télécommunications. Quant à Claude Chappe, il ne verra pas la fin précipitée de son système de transmission. Ce dernier, victime d'une campagne de calomnie, par laquelle, on l'accuse d'avoir plagié des systèmes de sémaphores militaires, se suicide en se jetant dans un puits, le 23 janvier 1805 à Paris, Il sera inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Il avait 42 ans.
Sources : Le petit bâti Sud de la France - Hubert Delobette - Le papillon rouge éditeur, et un article d'André Peyrègne paru dans le supplément du magazine "Nous" numéro 96 du 29 février 2020, édité par le journal Var-matin.
Tombe de Claude Chappe au cimetière du Père Lachaise à Paris (Photo internet)
Complément : Il faut sauver deux marins de la guillotine
Le 3 février 1828 c'est le branle-bas de combat au ministère de la Marine à Paris. On reçoit une information permettant peut-être d'innocenter deux marins condamnés à mort qui doivent être exécutés le lendemain au bagne de Toulon. Il faut suspendre l'exécution. Vite ! le télégraphe... A 17 heures 30, un agent se rend à la tour de Ménilmontant pour envoyer le message : " Ministère de la Marine : il est demandé de suspendre l'exécution de..." Pendant qu'au bagne de Toulon, dans les cachots des condamnés à mort, les deux marins voient leur dernière heure arriver, les bras articulés du télégraphe commencent à mouliner l'information qui doit les sauver. De relais en relais, le message quitte Paris, se dirige vers Tonnerre, Semur, Dijon. Dans chacun des relais, les préposés à la transmission réalisent qu'il y a urgence. La vie de deux hommes est entre leurs mains. Ils font du plus vite qu'ils le peuvent, mais hélas cela ne suffira pas. Les tours Chappe de Chalons, de Lyon, de Valence prennent le relais. Une course contre la montre est engagée. Puis ce sont les relais d'Etoile sur Rhône, de Livron, de Loriol. Mais on est en hiver et voilà que la nuit commence à tomber. Soudain, le message n'est plus visible. Sa transmission est interrompue. A l'aube du 4 février 1828, dans le bagne de Toulon, deux marins qui étaient peut-être innocents du crime dont on les accusait furent exécutés...
Source : D'après un article d'André Peyrègne paru dans le supplément du magazine "Nous" numéro 96 du 29 février 2020, édité par le journal Var-matin.
Quelques explications
* Sinécure : Une sinécure est, à l'origine (au Moyen Âge), un bénéfice ecclésiastique, du latin "sine cura", abréviation de "beneficium sine cura" accordé à un clerc pour lui permettre d'effectuer un travail de recherche sans avoir à assurer de services religieux ou, comme on dit, sans avoir charge d'âmes. L'expression : "ce n'est pas une sinécure" désigne une "situation de tout repos" ou bien un "travail rétribué dans lequel il n'y a rien ou peu de choses à faire". Par extension, il signifie aussi une "chose sans importance ou insignifiante".
** Charles-Gilbert Romme : Charles-Gilbert Romme, dit Gilbert Romme, né le 26 mars 1750 à Riom et mort le 17 juin 1795 à Paris, est un homme politique et révolutionnaire français qui est à l'origine du calendrier républicain (calendrier non lié au christianisme avec des nouveaux noms de mois et une périodicité décimale). D'une famille bourgeoise de Riom, il fait ses études en même temps que son frère, le futur mathématicien Charles Romme, au collège des Oratoriens de Riom puis, pendant cinq ans, à Paris. De 1779 à 1790, il devient le précepteur de Paul Stroganov, fils du comte russe Alexandre Sergueïevitch Stroganov, à Saint-Pétersbourg, puis à Genève et enfin à Paris, accompagné du jeune André Voronikhine.
Source : Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Appareil à communiquer le morse (Photo internet)
*** Samuel Morse : Samuel Finley Breese Morse est un Américain, né le 27 avril 1791 à Charlestown et mort le 2 avril 1872 à New-York. C'est un inventeur, physicien et peintre de génie. Samuel Morse est connu pour avoir mis au point un télégraphe électrique et aussi un code baptisé Morse 1 qui permet d'utiliser le télégraphe électrique mais aussi d'émettre des signaux visuels et audio. La première maquette du télégraphe est probablement réalisée en 1835, mais il passe encore la majeure partie de son temps à enseigner la peinture et la sculpture à l'université de New-York. A partir de 1837, il se consacre au télégraphe et s'associe avec deux partenaires : Leonard Gale, professeur de science à l'université de New-York et Alfred Lewis Vail, plutôt porté sur la réalisation pratique et qui proposa d'utiliser l'atelier de ferronnerie de ses parents pour la réalisation d'un prototype. En fait, c'est Vail qui trouve la solution du code composé de points et de barres en 1838. A l'origine Morse avait imaginé des codes composés uniquement de chiffres et un dictionnaire pour interpréter les messages reçus. Vail avait pressenti que les messages devaient être verbaux et donc composés de lettres et de signes. C’est en visitant une imprimerie typographique que Vail comprit que certaines lettres étaient plus utilisées que d'autres et que le code devait privilégier les lettres les plus fréquentes.
Source : Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Vidéo : Histoires de Timbres n°8 Claude Chappe