Crimes dans une bastide entre Riez et Valensole en 1799 (1ère partie)
Première page du rapport du commissaire du directoire exécutif (Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence)
Ce crime a été commis dans le département des Basses-Alpes, dans la nuit du 22 au 23 vendémiaire (du 14 au 15 octobre 1799), onze personnes – vieillards, hommes mûrs et jeunes, femmes et enfants – ont été massacrées dans la bastide (maison de campagne) du citoyen Blanc, située sur le terroir de Riez. Un survivant : un enfant de trois ans ! Le crime a été découvert par un ménager, exploitant d’une bastide voisine, qui s’inquiétait de ne plus voir paraître personne et qui voyait vaquer à l’abandon les animaux de la ferme.
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Riez le 24 vendémiaire an 8 républicain
Rapport du commissaire du directoire exécutif près de l'administration municipale de Riez au citoyen commissaire du directoire auprès l'administration centrale
Je viens vous rendre compte de ce que l'histoire des forfaits offrira de plus horrible. Tous les crimes à la fois commis ensemble.
Hier soir à trois heures, un ménager vint avertir le juge de paix qu'on n'avait vu paraître personne de la bastide du citoyen Blanc propriétaire qui y réside. Bastide située aux confins du terroir de Riez et Valensole, que le troupeau vaquait à l'abandon dans les champs, sans guide, qu'un troupeau de cochons, les bœufs, une ânesse et son poulain paraissaient aussi sans guide et à l'abandon et que s'étant approchés de la basse-cour avait vu un cadavre étendu et la tête coupée, sur ce présage sinistre, l'administrateur Bérard, le juge de paix et moi partîmes escortés de deux gendarmes et de cent gardes nationaux armés qui furent à l'instant rendus et accompagnés du citoyen Garrus médecin, Arnoux et Jaubert officiers de santé, nous arrivâmes bientôt à la bastide. Nous trouvâmes d'abord un premier cadavre étendu dans la basse-cour, sans tête. Nous avons présumé qu'un cochon a mangé cette tête. Poussant la porte du ménage, sur le seuil était un autre cadavre, pénétrant dans la grange, nous avons...
Nota de Nadine : j'ai fait la transcription du début du rapport (première page) que le commissaire de Riez adresse au ministre de la police générale. Pour la suite je vous propose le texte écrit par Jean-Christophe Labadie, directeur des archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence.
C’est un spectacle atroce que découvre le commissaire de l’administration municipale de Riez, lorsqu’il s’approche de la bastide, et qu’il décrit à son homologue du département : "de ce que l’histoire des forfaits offrira de plus horrible. Tous les crimes à la fois commis ensemble". Rendu à cette bastide située aux confins de la commune de Riez et de Valensole avec le juge de paix de Riez, Jacques Morenon, deux gendarmes, cent gardes nationaux ainsi qu’un médecin, Garrus, et un officier de santé, Jaubert. Un des cinq administrateurs du Département, Bérard, l’accompagne aussi.
Dans la cour, gît le cadavre de Joseph Charabeau, le granger, 45 ans, la tête dévorée par un cochon. Dans la pièce principale de l'habitation se trouve la cadavre de sa fille Marguerite, 3 mois, étouffée sous sa mère Anne, laquelle, gravement blessée expire peu après. La tête appuyée sur l'escalier se découvre le corps violentée de son autre fille, Marie, 16 ans, allongée sur le dos. Vers la fenêtre, couché sur le côté droit, Maxime Reymond, le berger, 55 ans, la tête écrasée, alors qu'à côté, les cadavres du couple Marguerite Segond et Joseph Blanc montrent des traces de torture. Dans une cave, trois hommes et une femme tués : Jean Martin 36 ans, Antoine Garagne, 23 ans, le garde cochons ; Joseph Charabeau, 18 ans, fils d'un premier lit et Suzanne Raymond, 62 ans. Les victimes entravées portent encore les stigmates de coups de stylets et ont la tête "massée", c'est-à-dire, fracassée à coups de gourdin. Pire, écrit le narrateur, le citoyen Blanc, vieillard de plus de 80 ans, avait d'abord été attaché dans son appartement supérieur au clou qui tient la crémaillère et là avait été chauffé. Les officiers de santé ont trouvé la plante des pieds et les genoux brûlés. Son épouse avait été brûlée aux parties sexuelles et ensuite on les avait descendus à l'appartement du ménage, ils avaient été "massés" l'un près de l'autre. La maison est sens dessus dessous. Un enfant de 3 ans, Jean-Paul, retrouvé couvert de sang, a échappé au massacre. Le bambin raconte comment, leur forfait accompli, les brigands ont dîné d'une bonne omelette.
Les autorités sont frappées par la violence d’un crime commis par ces "cannibales que la nature rougit d’avoir placé dans la classe des humains", comme les désigne le commissaire de l’administration de Riez. Celui-ci avait été terriblement choqué que les brigands aient mangé sur place à l’étage de la grange : Nous avons vu, écrit-il, un bouleversement général de tous les meubles, denrées, effets, résultat des fouilles et recherches et du fromage et des œufs cassés, preuve du repas de cannibale qui a suivi ces horribles massacres. Outre l’action judiciaire pour condamner les coupables, l’administration propose une récompense de 300 francs – une forte somme alors car le revenu journalier d’un travailleur est d’un franc par jour – pour celui qui contribuera à faire arrêter un membre de la "bande d’assassins". Un des membres de l’administration départemental est envoyé sur place afin d’enquêter. Des visites sont conduites par les troupes de ligne, la gendarmerie, la garde nationale, tous doivent aussi veiller à la sécurité des habitants, en particulier ceux isolés des campagnes. Une troupe de vingt cavaliers est envoyée sur place pour patrouiller et des postes de surveillance sont installés, à la charge des communes, afin de repérer les mouvements des bandes. Tous ceux qui circulent sur les routes et les chemins sont désormais contrôlés. En cas d’alerte, les communes doivent signaler le danger avec le tocsin, le son du tambour ou des feux allumés sur les hauteurs. L’administration départementale, qui a sous ses ordres les administrations municipales, compte sur les Bas-Alpins pour combattre le fléau du brigandage. Ses cinq administrateurs appellent : Le zèle, le courage, la vigilance de tous les bons citoyens, elle les invite à concourir de tous leurs moyens, à l’extermination des brigands, à la sûreté des personnes et à la conservation des propriétés. La mobilisation est générale mais il faudra des années pour réduire ce mal endémique.
Sources : Histoire d'archives - Les archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence racontent - "Un crime abominable à Riez en l’an 8" - Janvier/Février 2022 - Mag 188 et Brigands des grands chemins dans les Basses-Alpes de l'an 8 à l'an 13 de la République - Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence.
A suivre l'autre partie de ce récit le 30 mai 2023